Certains mots sont comme les sucreries : on croit que c’est bon mais leur emballage flashy nous piège. C’est le cas du verbe "réinventer", gros bonbon poisseux que l’étalage de la pensée positive nous fait goûter à tout prix. Celui qui ne se réinvente pas ne se trouve-t-il pas en état de mort sociale ? Si on gratte le vernis de cette prose boursouflée, on s’aperçoit que "réinventer" veut dire "démolir". Oui, les mots nous mentent mais beaucoup de gens l’ignorent. L’emballage est censé créer l’emballement. "Réinventer" fait inoffensif, léger, dynamique et ludique, alors que « démolir » sent les gravats et la pelleteuse. Quand donc on veut démolir quelque chose, on va le dire autrement, se faire sympa pour ne pas éveiller les soupçons. Avec "réinventer", nul ne peut discerner quelque intention malveillante.
Mauvais goût municipal
Mais soyons francs, de quoi s’agit-il ? De passer la Nativité au marteau pilon des nouvelles mœurs, de la prendre en tenaille entre les deux mâchoires de l'inclusivité et de la diversité. Ce jargon est à nos traditions ce que le déboucheur est à l’évier : un moyen de les vidanger. Un certain mauvais goût municipal s’y emploie, par démagogie, sottise ou sectarisme.
Inclusivité, diversité, laïcité : cette trinité laïcarde sert à confiner la Nativité entre les murs de la seule paroisse, afin de l’invisibiliser.
Dans Le Figaro, Stéphane Kovacs en fait un florilège avec "Sidi Nicolas", "Sainte-Nicolas" ou "Petite Maman Noël". À Nantes, la mairie socialiste vante son Noël "multiculturel", défini comme "ces moments féeriques [qui] devraient rassembler tout le monde sous le même drapeau de la créativité". Ce jargon postule plusieurs choses : d’abord que Noël n’est pas la Nativité. Le premier appartient à tous, le second ne parle qu’aux catholiques. C’est un peu comme le mariage. Pour en faire une fête pour tous, il faut en casser le monopole. Inclusivité, diversité, laïcité : cette trinité laïcarde sert à confiner la Nativité entre les murs de la seule paroisse, afin de l’invisibiliser, comme si son sens n’était pas connu de tous et partout, sous toutes les latitudes.
Les catholiques, peu formés à la guerre des symboles, ont déserté Noël depuis si longtemps qu'on se demande si l'événement est rattrapable. Dans leur grande insouciance, ils ont consenti à une OPA au profit des marchands, de l’industrie du spectacle et de moments de débauche. Ils ont laissé Noël se faire ensevelir par un néofolklore niais peuplé de paillettes, de lutins débiles et de guirlandes criardes. À la dépossession succède logiquement la démolition. Vidé de son sens, l'événement se voit maintenant dilué dans le chaudron du grand n’importe quoi. On le tord et on le touille, soi-disant pour que tout le monde soit content. La belle affaire.
Insupportable Nativité
Dans son Génie du christianisme, Chateaubriand pointe "trois espèces d’ennemis [qui] l’ont constamment attaqué : les hérésiarques, les sophistes, et ces hommes en apparence frivoles, qui détruisent tout en riant." Singulier oxymore : comment peut-on détruire en riant ? De quelle inclination profonde cette attitude est-elle le nom ? Tous les éloges creux au "bel hiver" servent à congeler la vérité de la foi. La Nativité a quelque chose d’insupportable. Trop humaine, trop fragile, trop humble, ce qu'elle représente est aussi trop puissant, trop inconcevable, trop universel. Trop genrée, trop familiale aussi, avec Joseph et Marie, posés là en figures iconiques. Trop pieuse, avec ces mages agenouillés. Trop puérile avec l’âne et le bœuf, placés tardivement dans ce décor de foin. Trop rurale avec les santons de nos campagnes. Trop, c'est trop. L'événement rappelle la France profonde que l’on renie tous les jours dans nos métropoles triomphantes. Il rappelle surtout la petitesse divine qui nargue notre orgueil. Insupportable.