Je connais des personnes qui n’aiment pas la période de Noël. Soit parce qu’elle leur rappelle de mauvais souvenirs du temps de leur enfance. Soit parce qu’ils se sentent captifs d’un sentiment d’amère solitude qu’exaspère l’ambiance festive alentour. Je me souviens d’un collègue journaliste qui devenait à proprement parler un "ours" quand approchaient les fêtes de fin d’année. Même devenu père de famille, il persistait à sauter la case des fêtes dans le calendrier où il ne se sentait vraiment pas chez lui.
Pendant tout le temps de l’Avent, il affichait sa mine des mauvais jours. Comme un animal agressé, il sortait ses griffes si on se risquait à vouloir gentiment le sortir de sa grotte d’hibernation, pour le réincorporer dans le monde des vivants. Sa réaction épidermique était difficile à comprendre. Comment Noël, qui résonnait en moi comme un carillon provençal ou un carol anglais, pouvait-il faire sonner le glas chez lui ?
Peut-on vivre sans attente ?
Mon confrère n’attendait rien au fond de cette séquence annuelle. Même le mystère chrétien de l’attente du Messie, symbolisé par le temps de l’Avent, ne lui apportait ni consolation, ni résilience. Il n’attendait rien d’autre, si ce n’est que ça se passe le plus vite possible et qu’on parlât d’autre chose. J’ignore les causes profondes de sa haine de Noël : cachait-elle des blessures incurables et inavouables ? Ou bien son âme était-elle à ce point inquiète et tourmentée que la simple vision de gens optimistes et heureux lui était insupportable ?
Peut-on vraiment vivre sans attendre quelque chose ou quelqu’un ? La vie n’est-elle pas une suite d’attentes, de veilles et de guets ?
Toujours est-il que ce journaliste pourvu de talents et de réussites professionnelles n’attendait rien de ce temps béni pour les réunions de familles, les cadeaux réciproques et la chaleur d’un bon feu de bois. Mais peut-on vraiment vivre sans attendre quelque chose ou quelqu’un ? La vie n’est-elle pas une suite d’attentes, de veilles et de guets ? "Jamais las de guetter la lueur de l’Espérance" : citation somptueuse des Mémoires d’espoir de Charles De Gaulle, "vieil homme rompu d’épreuves", au couchant de sa vie.
Cette "lueur de l’Espérance", qui prend chair dans l’Enfant-Jésus à Noël, est-ce que nous l’attendons avec l’impatience fiévreuse que mérite cet avènement extraordinaire ? Ou bien sommes-nous dans la situation de mon ex-collègue, refermés sur nous-mêmes, renfrognés dans nos rancœurs et nos indifférences, au point de nous retrouver à côté de la plaque, de passer à côté du message de la crèche, telle qu’elle fut familiarisée il y a huit siècles par François d’Assise à Greccio ? "Le Messie est celui qui est attendu par les gens. Mais quel sens peut avoir un Attendu si personne ne l’attend ?", interroge dans une méditation le jeune prêtre et philosophe italien auteur de best-sellers, Luigi Maria Epicoco. Il poursuit :" Quand on est replié sur soi, on parle mal, on parle à tort et à travers. Et si médire de tout, avoir des préjugés sur tout marquait notre façon de ne pas nous impliquer dans la vie, de retirer notre épingle du jeu ? Pour préparer la venue du Christ, il faut abandonner nos plaintes et redécouvrir nos attentes."
« Redevenez des enfants »
Dans son dernier album, le chanteur Vianney a enregistré un duo avec Éric, un ancien sans-abri rencontré pendant une maraude. Le chanteur lui a proposé de mettre en musique des paroles de sa composition. La chanson s’intitule Debout. Éric s’est non seulement fait un ami, mais il a retrouvé un métier. Son attente dans les rues et sous les ponts a été pénible mais elle n’a pas été vaine. L’éclair d’un regard lui a restauré sa dignité, son humanité. Sur le disque, on l’entend dire d’une voix claire : "Redevenez des enfants, émerveillés à chaque instant ; chaque rencontre nous grandit et nous change la vie."
L’attente est une amie. Parce qu’elle nous veut du bien. Elle nous prédispose à nous arrêter ; elle nous apprend à regarder ; elle est le temps de la préparation, du recueillement, de l’intériorité, de l’écoute et de la méditation. Elle est le préambule à la rencontre, à la visitation, à l’émerveillement. Le temps liturgique de l’Avent est l’antichambre de la Joie retrouvée. L’Avent, c’est l’attente préalable à ne pas rater pour être à l’heure au rendez-vous promis avec Celui qui vient.