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Ni crottin, ni angelus, le malentendu de la ville à la campagne

Tracteur

Un tracteur dans un village de Normandie.

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Xavier Patier - publié le 05/12/23
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En perdant le caractère rural qui l’a portée pendant vingt siècles, notre civilisation a perdu sa cohérence, observe l’écrivain Xavier Patier. Ni crottin, ni angelus : on veut le bonheur à la campagne, mais sans assumer le rôle nourricier de la terre.

Le président Georges Pompidou pensait que "dans cinquante ans, la fortune consistera à pouvoir s’offrir la vie du paysan aisé du début du XXe siècle, avec de l’espace, de l’air pur, des œufs frais et des poules élevés au grain". Cinquante ans plus tard, sa prophétie s’est réalisée d’une certaine manière avec la naissance d’une nouvelle classe sociale de néo-ruraux qui ont la fortune de vivre comme des bobos, mais dans les campagnes.

Or ces néo-ruraux ne sont pas comparables aux châtelains d’autrefois : ils ne se sentent aucune responsabilité à l’égard de leurs voisins, ignorent leur paroisse, ne siègent pas au conseil municipal de leur commune, oublient de dire bonjour, et aspirent à vivre à la campagne comme ils le font à la ville, branchés sur le monde mais coupés de leur voisinage. Ils veulent la fibre, pas l’agriculture.

Des crottins qui sentent le crottin

Ce mode de vie est source de malentendus. C’est ainsi que plus de cinq cent contentieux encombrent les tribunaux pour des conflits entre ces nouveaux habitants de la campagne et leurs voisins agriculteurs qui ont, selon eux, le tort de faire du bruit, d’avoir des coqs qui chantent, des vaches qui meuglent, des tracteurs qui sentent le gazole, du lisier qui sent le lisier, des crottins qui sentent le crottin, bref, de vivre et de travailler à nourrir les villes. Même les exploitants en agriculture biologique leur sont insupportables, car un élevage bio n’est pas un élevage désodorisé. En perdant le caractère rural qui l’a portée pendant vingt siècles, notre civilisation a perdu sa cohérence. 

Les néo-ruraux plaideurs aiment la campagne, mangent du poulet ou au moins du soja, mais pas au point d’assumer le rôle nourricier de la terre.

Autrefois, tout le monde savait que pour manger du poulet, il fallait tuer un poulet. Cela ne va plus de soi : les néo-ruraux plaideurs aiment la campagne, mangent du poulet ou au moins du soja, mais pas au point d’assumer le rôle nourricier de la terre. Alors ils font ce qu’ils savent faire le mieux : écrire des lettres recommandées. Ils assignent les agriculteurs au tribunal pour "nuisances". Beaucoup d’agriculteurs sont condamnés à de lourdes peines : les magistrats aussi ont oublié qu’un monde existait en dehors des villes. Le malentendu est douloureux. Le désamour de nos paysans en conduit beaucoup d’entre eux au désespoir et au suicide. Pompidou, qui venait de la terre, n’avait pas prévu ce drame. Il appartenait à cette génération pour qui le bonheur est à la campagne, mais dans une campagne nourricière dans laquelle l’homme exerce son métier d’homme sous le regard de Dieu et assume de tuer le cochon.

Le droit du Jeannot Lapin

La députée Renaissance Nicole Peilh a eu la bonne idée d’une proposition de loi destinée à protéger les agriculteurs contre ces procès intentés par leurs nouveaux voisins. Sa proposition vient d’être votée à une large majorité par l’Assemblée nationale. Elle consiste à instaurer deux principes de bon sens : d’abord, imposer une conciliation préalable à tout recours contentieux, à rappeler aux gens qu’ils peuvent se parler. Ensuite, consacrer la sentence de La Fontaine dans sa fable le Chat, la Belette et le Petit Lapin : le droit reconnu "au premier occupant". Appelons ça : droit du Jeannot Lapin. Un nouvel arrivant qui s’installe à la campagne est censé accepter les contraintes préexistantes du voisinage. Habiter près d’un élevage de moutons implique qu’il y a un peu plus de mouches qu’ailleurs ; à chacun de se renseigner avant de s’installer. Quelqu’un qui décide d’habiter rue Mouffetard accepte les contraintes de cette rue encombrée et piétonne. Il n’est pas absurde que celui qui choisit de s’installer dans une commune de Savoie soit censé accepter d’entendre les sonnailles des troupeaux. Voilà donc une bonne loi dont il faut savoir gré à Nicole Peilh.

La question des angelus

Il reste la question des angelus. Des tribunaux de première instance sont tentés de faire taire les cloches de nos églises comme autrefois l’avait fait la Convention, et même le Directoire qui avait imposé qu’on retirât les battants des cloches. Ce combat n’est pas achevé, malgré la loi Peilh, et malgré la loi de 2021 sur le patrimoine sensoriel des campagnes. On peut craindre qu’il sera de plus en plus difficile. On nous expliquera, un jour prochain, que faire taire nos clochers sera la seule manière laïque d’empêcher demain les muezzins de crier sur nos toits. D’ici là, la seule manière de défendre nos clochers reste l’évangélisation. En allant à la messe dans les églises rurales, en chantant l’angelus, nous contribuons à accueillir le Christ chez lui, dans nos campagnes où les anges s’apprêtent, dans peu de jours, à entonner l’hymne des cieux. 

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