J’ai lu récemment, sous la plume régénératrice d’un chroniqueur belge, une belle apologie de l’esprit critique tel qu’il devrait fonctionner dans l’Église catholique. On dit qu’il aurait sensiblement progressé dans les mentalités à l’occasion de la première session du synode sur la synodalité en octobre dernier à Rome. Beaucoup des participants, clercs ou laïcs, hommes ou femmes, se sont félicités d’avoir pu échanger entre eux à égalité. Ils ont exprimé des divergences sans provoquer pour autant de tollé ou de rappels à l’ordre. Cette avancée notable est à mettre sur le compte de la volonté inébranlable du pape François : pour lui, une Église synodale ne peut voir le jour que si tous les baptisés se familiarisent à la culture de la conversation. Archevêque de Buenos Aires, il s’est formé à cette mentalité en participant aux assemblées du Celam, l’instance d’échanges et d’orientations créée par les évêques des pays d’Amérique latine. C’est ce processus de dialogue que François veut étendre à l’Église universelle. Il doit, pense-t-il, favoriser la recherche mutuelle des solutions à apporter pour le bien et le progrès de l’ensemble.
La révolution du dialogue
La formule d’un des participants au synode exprime parfaitement l’objectif visé : "Sans le Christ nous ne pouvons rien faire, mais sans les uns et les autres nous ne pouvons rien faire non plus" a déclaré le cardinal Josef De Kesel. Ce passage d’une culture enseignante à une culture dialoguante dans l’Église catholique ne se fera pas cependant par décret. Un synode n’y suffira pas. Car, ne nous y trompons pas, le processus engagé est celui d’une révolution culturelle. "Le pape François a voulu mettre en route et non pas organiser un “événement”, explique le théologien Christoph Theobald. Le propre de ce “processus” est de rester inachevé. Car nous vivons dans l’histoire." Bientôt soixante ans après la clôture du concile Vatican II qui avait ébauché ce projet, on peut mesurer le chemin qu’il reste à accomplir pour que les catholiques du monde entier se convertissent à l’usage ouvert et pondéré du dialogue après des siècles de culture du silence, de la langue de bois et de la rumeur pas toujours bonne conseillère. La tragédie des abus commis dans le clergé sur des personnes vulnérables et manipulables a montré l’extrême perversité d’un système en vase clos imposant à ses membres de garder leurs bouches cousues.
L’intelligence critique
Il faudra du temps, comme le soulignait l’observateur belge dont je parlais au début, pour qu’une critique contre le pape ne soit plus vue soit comme un crime de lèse-majesté soit comme une opposition de principe lancée contre un adversaire idéologique. Entre la langue de buis et la langue de vipère, il y a place aussi pour la langue vertueuse. C’est celle de l’intelligence critique. Cet esprit critique implique à la fois plus de retenue dans l’expression, et plus de hauteur et de profondeur dans l’analyse. Or, on le constate en scrollant sur son smartphone ou en feuilletant son journal, les sujets de friction et d’agressivité ne manquent pas entre les catholiques. Sur des sujets d’actualité aussi brûlants que, par exemple, la guerre israélo-palestinienne, la crise migratoire en Europe ou encore la démarche synodale allemande, beaucoup inclinent encore à se lancer des anathèmes et à s’entredéchirer plutôt qu’à s’écouter posément et à échanger des arguments rationnels.
Une autre forme de communication
Les catholiques n’ont pas le monopole de ce spectacle insensé. Comme leurs concitoyens, ils sont influencés par les inquiétudes de l’heure et leur assaisonnement polémiste par des réseaux sociaux qui déroulent le tapis rouge aux idées les plus populistes et extrémistes. La réalité "bête" des choses comme disait Péguy est purement escamotée ou falsifiée. Les débats ressemblent à des simulacres et à des matchs de catch ou des parties de jeux de massacre. Il existe pourtant une autre forme de communication tissée d’intelligence et d’intelligibilité. En cherchant bien, on la rencontre encore à l’œuvre ici ou là. La trouver nécessite de faire des écarts, de quitter les boulevards du prêt-à-penser médiatisé. Pour les catholiques, il y a une adresse toute indiquée pour aller éclairer leur lanterne, relier leur spiritualité à la vie et persévérer dans leur effort d’écoute et de dialogue : c’est celle de l’Évangile, en particulier l’épisode où deux disciples déboussolés marchent et conversent avec un inconnu sur la route d’Emmaüs (cf. Lc 24, 13-35).