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Produire “made in France”, est-ce un investissement juste ?

Usine Holosolis en projet en Moselle – photo non contractuelle.

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Hubert de Boisredon - publié le 13/11/23
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Nouvel actionnaire au titre de son entreprise de la future plus grande production de panneaux photovoltaïques en Europe, Hubert de Boisredon réfléchit aux critères de discernement de l’investissement juste. Pour lui, réindustrialiser la France est une priorité pour construire une économie plus écologique et apaiser les relations sociales.

La XIe édition du salon Made in France s’est tenue ces 11-12 novembre porte de Versailles, réunissant artisans et producteurs français. Plus de 100.000 visiteurs y ont participé avec passion. Dans ce même élan, Armor Group annonce sa prise de participation de 20% dans le capital du consortium Holosolis, qui prépare la construction à Sarreguemines en Moselle de la plus grosse usine de production de panneaux photovoltaïques d’Europe. Cet investissement de 710 millions d’euros permettra de produire à plein régime, à partir de 2027, une capacité de 5 gigawatts par an, ce qui équivaut aux besoins énergétiques d’un million de foyers et à 8% des importations européennes de modules photovoltaïques. Cette usine créera 1.700 emplois.

Le salon Made in France, tout comme cette annonce, fait partie de la longue liste des événements et investissements économiques du quotidien, me direz-vous. Chercher à produire en France est-il une priorité ? En quoi cela a-t-il du sens pour les dirigeants d’entreprise et les investisseurs ? Et en quoi cela peut-il concerner notre vie chrétienne ou religieuse, pour ceux qui sont croyants ? Ne mélangeons-nous pas là ce qui est de l’ordre de sacré — la foi, la prière, le discernement spirituel — et ce qui est de l’ordre du profane — l’entreprise, les choix d’investissement, l’argent ? Eh bien non ! car selon moi, tout est lié. Sur un plan humain, je reprends volontiers l’argumentaire d’Arnaud Montebourg, président-fondateur des équipes du Made in France et ancien ministre du Redressement productif, dans le débat auquel il a participé récemment sur BFM Business avec l’économiste Jean-Marc Daniel : 

"Un pays qui ne produit pas est dans la main de ceux qui produisent. C’est une perte de liberté. Quand vous dépendez des autres, vous vous endettez pour acheter ; vous ne produisez pas assez de richesses pour acheter, c’est exactement ce qui arrive à la France. Il manque un million d’emplois — en gros 500 usines — c’est la raison pour laquelle nous en sommes avec un déficit commercial de 150 milliards d’euros par an, alors que l’Italie présente un excédent commercial de 65 milliards d’euros et l’Allemagne de 180 milliards d’euros… La France se retrouve donc pieds et poings liés car elle a abandonné le soin de produire. Le Made in France sert donc à une chose : être libre. "

La liberté revêt une dimension spirituelle. « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Co 3, 17). C’était le thème de la rencontre annuelle des routiers scouts d’Europe à Vézelay cette année à laquelle j’ai participé. La phrase pourrait être inversée : la vraie liberté témoigne de la présence de Dieu. Car la liberté est la condition d’un discernement objectif dans l’Esprit.

L’abandon de nos territoires

L’autre argument avancé par Arnaud Montebourg est celui de l’abandon de nos territoires : des villes et des villages abandonnés par manque d’usines, de travail et donc d’emplois. En ce sens, le plan d’investissement France 2030 lancé par le gouvernement est une bonne chose. Bien sûr, l’économie française ne doit pas se réduire à produire en France. Notre rayonnement international, par nos productions en Inde, aux États-Unis ou en Chine est tout autant indispensable. Mais attention à ne pas répéter l’immense erreur de jugement d’Alcatel en 2001, qui prônait de développer des entreprises sans usines en produisant nos composants industriels en Chine ! Le résultat : 120 usines — la majorité — du groupe Alcatel ont été fermées. La conséquence de ce modèle aujourd’hui : notre industrie ne représente que 12% du PIB français contre 17% en Italie et 21% en Allemagne. 

La priorité, quand cela est possible en termes de coûts salariaux, est d’investir dans les territoires qui nous sont confiés, près de chez soi, donc en France.

Cette dépendance, notamment énergétique, a des conséquences éthiques, qui conduisent à altérer notre liberté dans nos relations internationales. J’ai évoqué notre dépendance au gaz dans des tribunes précédentes à propos de notre relation passée avec la Russie et du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Notre dépendance à la Chine à 95% concernant les panneaux photovoltaïques pose question dans ce contexte. Qu’adviendra-t-il en cas de conflit avec Taïwan ? 

Une priorité sociale

L’autre priorité est sociale. Celle-ci nous concerne comme entrepreneurs, et en particulier comme dirigeants chrétiens. Nous avons une responsabilité particulière, comme l’a rappelé le pape François le 13 juillet dernier dans son message aux entrepreneurs de France :

"Quand je pense aux chefs d’entreprise, le premier mot qui me vient à l’esprit est “Bien commun” [...]. Un moyen de plus en plus important pour participer au Bien commun est la création d’emplois, des emplois pour tous, en particulier pour les jeunes. [...] Nous sommes dans une période urgente, très urgente : nous devons, vous devez faire plus…"

En cherchant à discerner ce qui est juste, même si on peut considérer qu’un emploi à l’étranger a autant de valeur qu’un emploi en France, la priorité, quand cela est possible en termes de coûts salariaux, est d’investir dans les territoires qui nous sont confiés, près de chez soi, donc en France, plutôt qu’en dehors. L’impact carbone d’une production locale est par ailleurs bien meilleur qu’en important nos produits loin de nos bases, depuis l’Asie ou les Amériques. Réindustrialiser la France fait partie selon moi des priorités actuelles pour construire une économie plus écologique et stabiliser, dynamiser, apaiser les relations sociales dans notre pays.

"Donnez-leur vous-même à manger"

Réindustrialiser la France a aussi un sens spirituel. Je participais ce week-end avec mon épouse près de Roanne à une retraite des membres engagés dans le mouvement chrétien Fondacio en France. Nous avons médité le texte de la multiplication des pains. Devant la foule affamée, Jésus est pris de pitié au point d’avoir les entrailles retournées. Alors que ses disciples proposent de renvoyer les foules trouver la solution "ailleurs", ou "indirectement", Jésus leur dit : "Donnez-leur vous-mêmes à manger" (Mt 14,16). Comme eux peut-être, nous nous sentons parfois inquiets des foules sans emplois et bien pauvres et démunis avec nos « cinq pains et nos deux poissons », qui correspondent peut-être à notre faible capacité d’investissement dans les moyens de production en France. Face à l’urgence, nous sommes invités, non pas seulement à prier, réfléchir ou à nous poser des questions, mais à nous donner, à nous engager concrètement. 

Je crois par ma foi que des miracles peuvent se produire, que des acteurs publics et privés peuvent se mobiliser, comme dans cet évangile de la multiplication des pains.

Pour Armor Group, notre engagement, c’est notre prise de participation de 20% dans Holosolis. Certains diront : ce projet ne va substituer que 8% des importations chinoises de panneaux photovoltaïques, et puis, cela ne va pas résoudre les problèmes économiques de la France. Et en plus, qui vous dit que cette usine restera compétitive si les Chinois baissent encore le prix de vente de leurs panneaux fabriqués bien souvent dans des conditions écologiques et sociales déplorables, notamment par le travail forcé des Ouïghours ? 

Oui, c’est vrai, mais à cela je répondrai : ce projet créera 1.700 emplois dans cette région de Lorraine sinistrée qui a subi les conséquences de la crise sidérurgique et la fermeture des usines de céramiques et porcelaines. Il réduit le coût écologique de l’importation des panneaux de Chine. Il contribue à redonner de l’espoir, à se dire "Oui, c’est possible de continuer à créer des emplois localement". Et puis, effectivement, une dynamique locale peut s’enclencher. Je crois par ma foi que des miracles peuvent se produire, que des acteurs publics et privés peuvent se mobiliser, comme dans cet évangile de la multiplication des pains, quand l’engagement prend le dessus sur la résignation ! Alors, entrepreneurs, investisseurs, chrétiens ou non, "soyons toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en nous" (1P 3, 16) et réinvestissons en France dans nos territoires ! 

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