"Je ne suis pas anxieux, je suis précautionneux", assure Paul, 35 ans. Son épouse Jeanne, elle, n’est pas de cet avis. En dix ans de vie commune, elle a de nombreuses fois été témoin des angoisses de son époux et elle n’en peut plus : veiller à ce que les enfants ne montent pas trop haut sur les jeux au parc de peur qu'ils chutent, arriver quatre heures à l'avance à l'aéroport par crainte de rater son vol, prendre un rendez-vous chez le médecin à la moindre toux car elle peut être le signe d’une maladie incurable, etc.
Pour la personne anxieuse, il y a deux certitudes : le monde est plein de dangers potentiels et pour y survivre, il faut prendre un maximum de précautions. Pour son entourage, ce comportement est éprouvant à vivre au quotidien et s’avère souvent source de malentendus et de conflits. Comment dès lors vivre avec un conjoint qui impose ce mélange détonant de préoccupations métaphysiques et de soucis à propos de la vie quotidienne ?
"Supportez-vous les uns les autres", oui… mais
Comme le dit le dicton : "Les opposés s’attirent". Il arrive que dans un couple, l’un des conjoints soit anxieux quand l’autre est au contraire très zen. Si au début, l’équilibre entre les deux est plutôt harmonieux, chacun se disant qu’il devrait peut-être parfois ressembler à l’autre, au bout d’un certain temps tout s’écroule. "Très souvent on espère que l’autre va changer, que ses failles vont se réduire et que l’amour va le guérir, mais on s'aperçoit finalement que ce n’est pas toujours le cas", explique Bénédicte Lucereau, conseillère conjugale et thérapeute de couples et de familles, et fondatrice du Cabinet Mots Croisés. La spécialiste précise toutefois que "l’anxiété relève de quelque chose de psychologique, qui n’est pas en général choisi".
Marguerite, 50 ans, le sait bien. En 25 ans de vie conjugale, elle a appris à vivre avec les angoisses de son époux. "Quand il est avec moi dans la voiture, je ne dépasse pas les 40km/h en ville, même si on peut rouler à 50. Philippe est trop angoissé à l’idée d’avoir un accident ou une amende. Et c'est difficile, parfois, lorsque nous sommes en retard par exemple, d'être contrainte à rouler comme un escargot ! L’été, je n’ouvre pas non plus les fenêtres le soir, car Philippe pense qu’il va se faire dévorer par les moustiques… Même si ça m’agace, je me suis habituée à cette vie avec le temps", confie-t-elle à Aleteia. Pour Bénédicte Lucereau, cette attitude n'est pas la solution.
Compatir sans tomber dans une sorte de chantage ou de manipulation par celui qui a peur de tout.
"Saint Paul dit : “Supportez-vous les uns les autres” (Col 3, 13). C’est très vertueux, mais inefficace, car cela contribue à maintenir l’anxieux dans ses angoisses, auxquelles il s’habitue", précise la conseillère, qui invite plutôt à "compatir, mais sans tomber dans une sorte de chantage ou de manipulation par celui qui a peur de tout". Et surtout, ne pas materner le conjoint anxieux ! "Il n’y a rien de pire dans un couple que de materner l’autre. C’est un tue-l’amour", souligne Bénédicte Lucereau.
"À chacun de soigner ses propres maux, le conjoint ne peut que compatir et écouter", explique la spécialiste, en invitant le conjoint à rendre l’autre responsable de ses angoisses. Mais alors quel comportement adopter face à un conjoint anxieux ? Comment ne pas s’énerver ? Faut-il le laisser seul face à ses angoisses ?
Humour et prise de risque
Les anxieux pensent souvent que leurs inquiétudes sont fondées et que les non-anxieux sont des êtres inconscients. Inutile donc de se disputer avec son conjoint, comme le fait Jeanne qui transforme parfois le dialogue avec Paul en partie de ping-pong d’arguments et de contre-arguments sur la différence entre anxiété et lucidité. Pourquoi ne pas tourner certaines situations en humour ? À condition que celui-ci soit bien accueilli par l’autre, bien sûr. "En grossissant les faits, on peut majorer l’anxiété de l’autre pour lui faire comprendre qu’elle n’est pas fondée", explique Bénédicte Lucereau, qui prévient toutefois qu’il ne faut pas pour autant considérer les angoisses de l’autre comme étant dérisoires. "Ce qui de l’ordre de peur irrationnelle n’est jamais dérisoire", insiste la spécialiste.
Parce que l’intelligence a souvent besoin de l’expérience pour être convaincue, il est aussi possible de proposer à l’anxieux de sortir de sa zone de confort et de lui proposer de prendre quelques "risques" comme partir en week-end sans avoir réservé quoique ce soit ou laisser les enfants jouer dans un parc qu’il n’aime pas particulièrement car il le trouve trop dangereux pour lui montrer que les enfants s’y amusent tout en étant en sécurité. En revanche, si son anxiété l’empêche de vivre ainsi que tout son entourage, il est du devoir du conjoint de lui conseiller de suivre une thérapie.