Cet été bien maussade a été pourtant pour moi illuminé par une rencontre. Baignée de la lumière d’Italie. Celle de la région des Pouilles pour être exact. Je visitais le plus ancien sanctuaire dédié à l’archange saint Michel sur le Monte Sant’Angelo. Depuis le Ve siècle, celui-ci surplombe la mer Adriatique, tel un veilleur guettant l’aurore… Je m’apprêtai à descendre dans la grotte des apparitions angéliques, quand surgit devant moi une silhouette trapue portant un volumineux sac-à-dos. Éric, c’est son prénom, venait d’accomplir 2.200 kilomètres à pied en 109 jours. Après avoir exhumé et redessiné un chemin de pèlerinage médiéval livré à la friche, il s’était décidé à tenter lui-même l’aventure. Il était ainsi parti en mars dernier du Mont-Saint-Michel, en Normandie. Après moult péripéties, il parvenait à son but, au sommet du Mont Gargano d’où la dévotion à l’Archange était née, puis avait essaimé dans tout l’Occident chrétien.
La présence de saint Michel
Éric est un Breton de 55 ans. Marié, père de deux enfant, opérateur de machinerie lourde et engagé dans la vie municipale de son village, tout lui souriait… jusqu’au jour où il fut licencié de son entreprise. "Ce fut une bonne nouvelle, m’expliqua-t-il, cette libération de mes obligations professionnelles coïncidait avec la prise d’autonomie de mes enfants ; je pouvais donc réaliser, soutenu par mon épouse, ce projet de pèlerinage que je préméditais depuis longtemps." Catholique non pratiquant, rebuté souvent par l’incohérence de la vie de laïcs ou de prêtres, Éric est toutefois demeuré fidèle à la transmission religieuse reçue dans sa famille : le sens du mystère, l’amour des gens, la quête de la beauté. C’est donc riche de cette tradition, et grâce aussi à une bonne condition physique, qu’il s’est engagé sur cette route michaélique aussi imprévisible qu’esseulée. Car, si chaque année 400.000 pèlerins fréquentent les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, ils ne sont que deux ou trois marcheurs à s’aventurer sur cette piste oubliée de saint Michel.
"Sur ma route, j’ai traversé des endroits sinistres et des paysages merveilleux ; j’ai croisé des gens sympas et des tristes sires. J’ai dormi dans des toilettes publiques et dans des chambres tout confort. Je n’ai jamais connu la peur. Mais j’ai toujours senti la présence de saint Michel à mes côtés. Cette route produit du Saint-Esprit. Elle fait voir le monde autrement. J’aime plus qu’avant l’humanité." Ce cri de vérité, confié par Éric dans les larmes, celles d’un homme heureux d’avoir accompli librement son chemin, résonne en moi chaque fois que je me remémore notre rencontre.
L’art de briller comme un vitrail
Et si cette rencontre était une parabole pour mieux comprendre le message de l’épisode évangélique de la Transfiguration ? Il n’est pas facile à expliquer et je connais un certain nombre de prédicateurs qui ne me démentiront pas. Avons-nous affaire à un texte relatant une scène trop belle pour être vraie ? Ou bien s’il décrit un phénomène réel, nos esprits sont-ils devenus à ce point rationalistes pour ne plus envisager l’irruption du surnaturel dans notre horizon ?
Nous sommes appelés depuis notre baptême à envisager notre vie chrétienne comme un vitrail en diffusant avec nos propres couleurs la lumière qui nous éclaire.
Le témoignage d’Éric me paraît fournir au moins trois indications pouvant donner une dimension existentielle à ce mystérieux passage de l’Évangile. La première est que nous sommes peut-être appelés depuis notre baptême à envisager notre vie chrétienne comme un vitrail. Comment ? En diffusant avec nos propres couleurs la lumière qui nous éclaire. Sur le mont Thabor, Jésus flamboie comme un Vésuve inextinguible. Ce que voient les disciples, c’est son amour effervescent pour l’humanité. Que voient ceux qui nous regardent ? Quand j’ai vu Éric il m’a semblé qu’il brillait du feu de joie qu’ont allumé en lui nombre de ses rencontres sur sa route. La Transfiguration nous apprend l’art de briller comme un vitrail.
Sur les hauteurs
Deuxième clé interprétative : C’est une lumière transparente qui traverse Jésus sur la montagne. Elle le montre à ses trois amis tel qu’il est vraiment, dans la splendeur de sa filiation divine. La transparence, c’est ce qui relie foncièrement des amis. Quand on s’aime on ne fait pas semblant, on ne se ment pas, on ne se dissimule pas, on est transparent. Catholiques, sommes-nous des amis transparents les uns pour les autres ? Les larmes d’Éric ont témoigné au-delà de son émotion d’être arrivé à son but et d’avoir réussi son pari, de sa capacité à se livrer tel qu’il est, à la fois fort et fragile, drôle et profond. La Transfiguration nous apprend à privilégier la transparence à l’apparence.
Troisième indication enfin : La lumière pointe toujours au sommet des montagnes. Jésus emmène ses disciples sur une hauteur pour leur faire connaître cette expérience. Saint Michel apparaît lui aussi sur des monts. En somme, la lumière jaillit d’en haut. Et pour la voir, il faut être transhumant ; au sens étymologique du mot, il faut aller paître au loin, dans les montagnes. Il faut être pèlerin, "monter, prier, marcher" selon la recommandation de l’Archange sur le Mont Gargano, là où j’ai précisément rencontré Eric. Chrétiens attirés par le sédentarisme, demeurons-nous des pèlerins assidus de la lumière, celle qui brille sur les hauteurs ? La Transfiguration est un appel à la transhumance, au pèlerinage permanent. "Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin que vous soyez fils de lumière." (Jn 12, 36)
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