Près de 3.500 personnes interpellées, plus de 12.000 véhicules calcinés, 1.100 bâtiments incendiés ou dégradés… La mort de Nahel le 27 juin, tué par un policier à Nanterre, a entrainé plusieurs nuits de violences inouïes et de pillages dans tout le pays. Si une désescalade des violences semble se confirmer, la situation demeure hautement inflammable. "Notre regard de chrétiens et d’éducateurs salésiens n’est pas naïf : ces jeunes ne sont pas seulement des victimes. Ils sont responsables de leurs actes et rien ne peut légitimer de telles violences", explique frère Alban, 32 ans, éducateur salésien dans un foyer de protection de l’enfance à Caen. "Mais plutôt que répondre à ces violences par la répression, nous choisissons à la suite de Don Bosco le système préventif. Nous reconnaissons que ce qui est spontané, c’est la violence et que c’est bien pour cela que construire la paix demande un sacré chemin d’éducation".
Aleteia : Quel regard portez-vous sur les violences et émeutes perpétrées ces derniers jours dans plusieurs villes de France ?
Frère Alban : Ces actes ne peuvent être cautionnés. Ma première réaction est une sidération doublée d’un sentiment de gâchis. En regardant ces scènes de violences, ces émeutes, la peur et la volonté d’une réponse sécuritaire et répressive peut prendre le dessus en se disant : "Ces jeunes doivent aller en prison !". Nous, les salésiens, ne sommes pas convaincus que cela contribue à une société plus apaisée car la prison est un lieu de violence et de radicalisation. Le regard que je porte sur ces violences est in fine un appel à se retrousser les manches éducativement parlant, à relancer des initiatives de prévention, à permettre aux parents de se réapproprier leur rôle d’acteur éducatif etc.
Si les jeunes n'ont pas d'espace où ils peuvent s'exprimer, ils vont chercher eux-mêmes des espaces.
Les événements récents montrent-ils un échec du système éducatif dans certaines zones, auprès des "jeunes" des cités ?
L’une des limites des événements tels qu’ils ont été présentés c’est que l’ensemble des "jeunes" des cités se sentiraient exclus, en situation d’échec. Ce qui est loin d’être la réalité. Cela ne concerne qu'une partie desdits jeunes et absolument pas la totalité. Et même pour ces "jeunes" qui ont pris part aux émeutes, cela ne représente pas la totalité de leur quotidien, seulement un aspect. En chacun de ces jeunes, acteurs de violences ou pas, il y a un élan de vie, un élan de vie belle, une volonté de reconnaissance, de fierté. Mais quels sont les espaces où ils peuvent la trouver ? S’ils n’en ont pas, ils vont chercher eux-mêmes des espaces. Comme le disait Don Bosco à son époque : "Ne tardez pas à vous occuper des jeunes, sinon ce sont eux qui ne tarderont pas à s’occuper de vous !".
Les événements sont-ils vraiment comparables à l’époque de Don Bosco ?
Le contexte était bien évidemment différent à son époque d’exode rural. Les jeunes fuyaient les campagnes, ils arrivaient en ville avec des liens familiaux distendus. Livrés à eux-mêmes, ils trouvaient au début des moyens de subsistance grâce à de menus travaux qui se sont rapidement transformés en vols et à des modes d’expression violents. La violence prend des formes différentes en fonction des époques et des personnes mais, si elle est unanimement condamnable, elle peut aussi être évitée à condition d’un travail de prévention et d’éducation. C’est toute l’œuvre de Don Bosco. Il s’était rendu une fois en prison avec son accompagnateur spirituel et s’était senti impuissant devant ces jeunes. Don Bosco a alors fondu en larmes. Alors que la majorité des jeunes se sont moqués de lui, l’un d’entre eux a pris la défense de Don Bosco en répondant aux autres : "Si nos mères étaient là, elles pleureraient de la même manière." Ce regard d’amour, c’est Don Bosco.
La police permet aux différents acteurs et aux "jeunes" de retisser du lien social et de préserver un espace où chacun se sent en sécurité pour entrer en relation avec l’autre sans avoir peur.
Mais Don Bosco, ce n’est pas les larmes et la passivité. C’est au contraire une pédagogie de l’action, de la compréhension et du respect des règles. Aujourd’hui l’enjeu est de recrédibiliser l’ensemble des acteurs de l’éducation dans ces quartiers, de relégitimer les parents dans leur rôle de parents, des professeurs quand un devoir ou une sanction est donnée. La police, comme l’ensemble des acteurs, a un rôle essentiel. Elle permet aux différents acteurs et aux "jeunes" de retisser du lien social et de préserver un espace où chacun se sent en sécurité pour entrer en relation avec l’autre sans avoir peur. La violence naît de la peur.
La violence est-elle inévitable ?
La violence apparaît toujours comme la voie la plus naturelle pour résoudre un conflit. Ce n’est pas la paix et le dialogue. D’où la nécessité d’apprendre et d’éduquer au dialogue et à la paix. Il existe trois types de violence. La violence comme mode d’affirmation de soi, la violence comme mode d’expression et la violence comme mode d’action. Dans le premier cas la question qui se pose aux acteurs éducatifs est de permettre aux jeunes de s’affirmer suffisamment sans écraser. Dans le deuxième cas l’idée est de trouver des activités sportives ou artistiques permettant aux jeunes de s’exprimer. En revanche dans le cas de la violence comme mode d’action pour parvenir à ses fins, il n’y a pas de compréhension possible. La loi doit être expliquée et appliquée. La violence n’est jamais légitime, mais s’ils n’ont pas raison ils peuvent avoir leurs raisons. Il faut donc rappeler inlassablement la loi, les règles du jeu, les appliquer et recommencer.
La bienveillance, c’est une affection guider par la raison, c’est veiller au bien de l’autre.
La police, dont le rôle est de faire respecter la loi, semble souvent inaudible auprès des "jeunes"…
Parce que bien souvent la police est la seule figure d’autorité de ces jeunes. L’autorité ne peut pas être incarnée uniquement par la police. Chaque acteur éducatif doit prendre sa part en matière d’autorité et du rappel de la loi. Les familles comme le corps enseignant, les associations…
Comment éduquer à l’école de Don Bosco ?
L’une des premières pistes pour Don Bosco est le regard de l’éducateur sur l’autre. Le jeune est-il un problème à résoudre ou un acteur de sa propre vie ? Le jeune en face de soi à des talents, il porte en lui de belles choses. À nous de lui en faire prendre conscience. Vient ensuite la dynamique de groupe. Le jeune peut être au service d’autres jeunes. Parce qu’il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir, il faut leur permettre d’être à leur tour capable de donner. Ce ne sont pas des récipiendaires passifs, il faut les mettre en responsabilité vis-à-vis des autres jeunes. Le lien affectif est aussi essentiel dans l’éducation. Le jeune doit être aimé et se sentir aimé, ce qui implique une présence au quotidien auprès d’eux, dans les moments de joie mais aussi les difficultés, quand ils ne respectent pas la loi ou les règles. Les confronter dans ces situations là en leur rappelant et en appliquant la loi, c’est aussi un signe d’amour. La bienveillance, c’est une affection guidée par la raison, c’est veiller au bien de l’autre.