Dans cet effondrement moral qui semble être le réel que nos générations ont à vivre désormais... Dans cet invraisemblable bazar où les responsables politiques de notre pays nous confient sans scrupule leurs penchants sexuels et leurs fantasmes intimes, tandis que leurs opposants font la chasse aux boucs émissaires, pensant ainsi se donner un peu de crédibilité... Dans le désastre humain des révélations de scandales chaque jour annoncés au sein de l’Église, où l’on ne compte plus les victimes ni ceux qui ont laissé agir les bourreaux, et qui révèlent aussi la profondeur du Mal qui veut, étouffer la lumière du Christ... Dans tout cela, que faire ? Se résigner ? Rejoindre ceux qui vocifèrent le plus, ou ne plus s’intéresser à rien ?
La foi fait naître le rêve
En relisant Fratelli Tutti ces derniers jours, l’insistance du Pape à mettre les étrangers au centre de son encyclique me provoque une fois encore. C’est que l’étranger est LE révélateur de la crise qui nous secoue actuellement. Il est devenu le leitmotiv de toutes nos peurs et de toutes nos colères. Au point que plus aucun débat n’est possible, plus aucun dialogue. Parce qu’il nous encourage à rêver, François est indispensable à notre monde : il rappelle que la foi fait naître le rêve. Non pas le fantasme qui oppresse et rabaisse, mais le rêve qui élève et permet, tout en gardant les pieds sur terre, de voir plus loin. Non pas au-delà de la réalité mais à-travers elle. La foi n’est pas une échappatoire, elle permet de regarder le monde et d’y reconnaître la présence de Dieu.
Se reconnaître responsable n’est pas se présenter nécessairement comme coupable. Mais être prêt à assumer sa part dans l’effort pour ramener la paix là où nos nations ont semé la guerre.
L’actualité, par les images qui nous rapportent en permanence le réel de notre quotidien, nous montre sans cesse des cohortes de pauvres gens, échoués sur nos côtes, entassés sur nos terrains vagues. Les statistiques de ce même réel créent peur et inquiétude en chiffrant cette montée de la violence, soft ou hard, qui affole les plus modestes d’entre nous et qui fait causer les autres dans leurs salons, bien à l’abri. Mais qui cherche à voir à travers ce réel la manière dont Dieu se manifeste ? Certes, là n’est pas la tâche des politiques ni le charisme des commentateurs... Et ceux qui croient, pourquoi parlent-ils si peu ? Que craignent-ils ?
Se reconnaître responsable
Car, en fait, nous savons bien que nul ne pourra renvoyer des centaines de milliers de personnes en situation irrégulière dans des pays qui, de plus, ne les laisseront pas revenir. Et tous savent très bien que laisser "pourrir" (pour reprendre l’expression détestable que l’on entend, sous couvert d’anonymat, dans les couloirs de préfectures ou de ministères) ne sert qu’à faire monter les chiffres d’une délinquance dont on a beau jeu ensuite de s’inquiéter. Chacun voit bien par ailleurs que même les plus vindicatifs, en Italie par exemple, n’ont pas la possibilité d’enrayer ce qui se passe. Il faudrait pour y parvenir être prêt à avoir du sang sur les mains, ce que nos États n’acceptent de faire que par délégation en se réfugiant derrière des pays moins regardant qui repoussent, en échange de notre argent, dans les déserts ou dans les hauts fonds marins les voyageurs indésirables.
Impossible d’évoquer notre responsabilité quant à cette situation : le passé colonial, qui reste une aberration humaine, surtout venant de terres chrétiennes, les guerres menées depuis presque cinquante ans, pas plus que notre consommation gargantuesque ne peuvent être mis en cause. Sinon, ce sont les hurlements, les anathèmes, les accusations de trahison et de soumission aux "méchants". Tout est fait pour qu’aucune solution ne fonctionne. Il y aurait pourtant de la sainteté à reconnaître notre part de responsabilité : ne faisons-nous pas cela, au début de chaque Eucharistie et pour les plus pieux, chaque soir lors de l’examen de conscience ? Se reconnaître responsable n’est pas se présenter nécessairement comme coupable. Mais être prêt à assumer sa part dans l’effort pour ramener la paix là où nos nations ont semé la guerre. Être prêt à payer le prix du dépouillement que nous infligeons aux plus pauvres lorsque, par exemple, nous nous réfugions dans le tout-électrique pour nous donner une bonne conscience écologique sans voir les catastrophes sociales et environnementales que cela entraîne loin de nos regards.
Chercher des solutions
Où est l’Église dans cette réflexion pour, au moins par la Parole, prendre la défense de ceux que l’on voue aux gémonies ? L’Église est là où sont les baptisés, répondra-t-on. Mais alors où sont-ils ? Certains s’activent pour être en première ligne, avec d’autres, pour panser les plaies et chercher malgré tout à trouver des solutions individuelles pour ces personnes si nombreuses et si démunies. Ils font sans bruit un travail remarquable qui permet à des milliers de jeunes de s’intégrer chaque année dans notre pays. Ils œuvrent en se sachant impopulaires pour beaucoup mais essentiels au bien commun. Mais ils sont peu nombreux et souvent conspués par leurs frères mêmes...
Ah ! si ceux-là justement, parmi ces enfants de Dieu, faisaient l’effort de taire leurs préjugés et de chercher des solutions humaines, justes et pour tout dire chrétiennes, ils pourraient apporter équilibre et efficacité à ceux qui, sur le terrain, s’épuisent à frapper à des portes qui ne s’ouvrent plus. Et ainsi pourrait s’ébaucher cette société où l’Évangile manifesterait à tout homme que le Christ est bien la Lumière du monde. Où les baptisés pourraient se réjouir d’entendre le Père des cieux murmurer à leurs cœurs : "Mon fils, si tu as le cœur sage, mon cœur à moi se réjouira" (Pr 23,15).