Certains chrétiens nourrissent un complexe d’"inutilité" face au spectacle de leurs semblables qui vibrionnent autour d’eux. Eux prient et vont à la messe tandis que leurs semblables s’agitent dans tous les sens. Ce contraste finit par les culpabiliser. Ils en viennent à s’interroger : "En quoi suis-je utile en allant à l’église le dimanche ou les autres jours de la semaine ?" Parfois, ce sont leurs proches qui leur posent cette question. Cette interrogation s’insinue à tel point dans l’esprit de certains qu’ils en arrivent à douter des raisons de leur participation à la messe.
"Au fait, pourquoi est-ce que je continue à y aller ?" Or, parmi toutes les réponses disponibles à cette question, il en est une qu’il vaut la peine d’approfondir parce qu’elle conjugue l’approfondissement de la vie spirituelle du croyant avec le secours qu’il est capable d’apporter à ses frères en humanité. Dans cette perspective, la messe renforce l’union du chrétien avec Dieu et le pousse, dans le même temps, à répandre la Rédemption, gagnée par le Christ, autour de lui. Examinons comment la participation à la messe parvient à ce double effet.
Jésus fait la volonté du Père
Le sacrifice que le Christ a offert à son Père sur le Golgotha est celui de sa volonté. Jésus a sacrifié sa volonté propre à celle de son Père. "Que ta volonté s’accomplisse et non la mienne" lui dit-il à Gethsémani (Mc 14, 36). Cette oblation de sa volonté constitue pour le Christ le meilleur sacrifice qu’il pouvait offrir, conformément au psaume 40 repris dans l’épître aux Hébreux : "Tu ne voulais ni sacrifice ni oblation ; mais tu m’as façonné un corps. […] Alors j’ai dit : Voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté" (He 10, 5-7).
Mais quelle est la volonté du Père ? Certes, elle ne consiste pas en la souffrance de son Fils. Non, ce que veut le Père, c’est le salut de Ses enfants : "Dieu veut que tous les hommes soient sauvés" (1 Tm 2,4). Si le salut est passé par la Croix, la raison en incombe au péché des hommes. Jésus ne pouvait rester fidèle à son Père qu’en mettant de l’amour là où les hommes disaient "non" et assouvissaient leur haine. Le péché ne pouvait être réparé par l’amour que sur le lieu même où le non-amour semblait triompher. C’est à cause du rejet des hommes que l’amour du Christ a dû passer par la mort. Voilà pourquoi son obéissance au Père a pris la forme du don extrême de sa vie. Ce n’est pas le Père qui a exigé que son Fils meure pour "laver son honneur".
C’est le mal et la violence, tapis dans le cœur de l’homme, qui ont poussé Jésus à vaincre le péché sur son propre terrain. Ainsi, la Croix représente l’union maximale des volontés du Père et du Fils. Et c’est le Père qui donne au Fils son Esprit afin qu’il vive son sacrifice en parfaite intelligence amoureuse avec sa volonté de sauver les hommes.
S’immerger dans la volonté de la Trinité
Cependant, en quoi cette communion des volontés du Père et du Fils dans l’Esprit nous concerne-t-elle ? Parce que la messe est l’actualisation du sacrifice du Golgotha. Le sacrifice eucharistique est le même que celui du Calvaire.
Or, c’est au Christ pascal que nous communions de telle sorte que les dispositions spirituelles qui furent celle de Jésus au Golgotha passent "en nous". Aussi, en faisant un avec le Christ, sa volonté devient-elle la nôtre. Et comme la volonté du Christ est celle de son Père, par transitivité, la nôtre devient à son tour celle du Père, et partant celle de la Trinité tout entière !
Donc, à l’instar de Dieu, nous aussi voulons "que tous les hommes soient sauvés". Et cette volonté ne se contente pas de bonnes intentions. Elle passe à la pratique. C’est ainsi que la messe est source de mission. Grâce à elle, les chrétiens ne restent pas les bras croisés mais œuvrent à propager la Rédemption dans le monde puisque leur volonté ne fait plus qu’une avec celles du Père et du Fils.
Intercéder avec le Christ pour nos frères humains
Mais ce n’est pas assez dire que le chrétien fait, grâce à la vertu de l’Eucharistie, la volonté de Dieu. L’effet de la messe s’étend bien au-delà. Car le chrétien n’est plus désormais un serviteur du Christ, ou un disciple : il devient son ami et donc un autre Christ. En s’appropriant les vertus de Jésus, il partage la même volonté que lui.
C’est en cela que la messe constitue aussi le plus grand moyen de notre progression spirituelle. Le chrétien vit alors dans le Christ. Dès lors, il n’existe plus deux volontés : celle de Jésus et celle de son disciple, mais une seule. À l’union des âmes et des esprits répond celle des volontés. Et comme la volonté de Jésus coïncide avec celle du Père, ce sont trois volontés qui n’en font qu’une !
Tel est l’un des effets les plus stupéfiants de la messe. En devenant l’ami de Jésus, le chrétien intercède, comme lui, auprès du Père pour que "tous les hommes soient sauvés", conformément à Sa volonté. Oui, la messe "sert" bien à quelque chose ! Rien moins qu’à la chose la plus importante du monde : étendre le salut du monde à tous les hommes.