Toute personne de bon sens le reconnaît comme une évidence : il est impossible de croître sans confiance. Il n’est pas anodin que les discours politiques ressassent ce principe comme un mantra : « Ayez confiance car sinon il n’y aura pas de croissance ! » La confiance ouvre les bourses et détend les angoissés : quand on croit qu’un avenir est possible, on consent à vivre. Et plus on croit que ce futur sera radieux, plus on s’engage avec frénésie dans cette vie qui nous paraît pleine de promesses. N’y a-t-il pas alors un parallèle à faire avec la situation de l’Église ? Le constat de l’effondrement de la vie de foi dans nos contrées n’est-elle pas le signe d’un profond manque de confiance ? Manque de confiance en l’aspect institutionnel de l’Église où plus personne ne sait très bien qui est qui, et comment les choses se décident et se passent.
La logique de la prise en otage
Je vois fleurir comme d’autres sur les réseaux sociaux des messages proprement surréalistes « Je suis Tradi », sans doute rédigés par des frères et des sœurs qui n’ont jamais vraiment lus saint Paul, lequel rappelle avec virulence à nos pères qu’ils ne doivent appartenir qu’au Christ et qu’aucun personnage, aucun rituel, ne saurait les en dispenser. J’entends aussi bien des discours visant à relativiser les rôles et les missions comme si tout était interchangeable et comme si l’incurie de quelques-uns rendait caduques les efforts déployés par beaucoup. À force de nous focaliser sur la machinerie, nous prenons l’immense risque d’y réduire le corps tout entier. Non qu’il ne faille revoir en profondeur les manières de faire, et le mode d’exercice des responsabilités. Il faut s’y atteler plus que jamais, sans faux-semblant et sans manipulation. Mais cela ne pourra se faire en vérité que si, dans le même temps, ceux qui se reconnaissent comme disciples de Jésus, refusent la logique de la prise en otage par les minorités. Notre société agonise de cela : quand les voix de ceux qui ne représentent qu’eux-mêmes deviennent tellement sonores qu’elles étouffent toute autre parole.
C’est la conversation entre nous qui ouvre le chemin de la vie.
Dans l’Église, il ne peut pas en être ainsi : aucune bouche ne doit s’ouvrir pour faire taire autrui, aucune correction ne peut porter du fruit si elle n’est vécue fraternellement. Nulle corporation n’est maîtresse de vérité : ni le clergé seul, ni les laïcs seuls, ni ceux qui se réclament d’une tradition, ni ceux qui s’affichent en hommes de progrès. C’est la conversation entre nous qui ouvre le chemin de la vie, pas les complots et les ruminations en petits comités.
Faire confiance
Mais pour oser cela, il faut faire confiance. Pas seulement et pas d’abord en la capacité de mon prochain à être un interlocuteur bienveillant et constructif, mais en la parole du Christ qui nous désigne les uns aux autres comme des frères. Pour faire confiance aux autres, il est nécessaire de faire confiance à Dieu. Avons-nous perdu cette capacité ? Alors pourquoi sommes-nous devenus si incapables de nous tendre la main et de nous accueillir sans d’abord nous jauger et nous réduire aux masques dont nous nous revêtons ?
Certains trouveront la recette naïve et même peut-être un peu niaise. C’est aussi, souvent, ce qu’inspire aux esprits forts la lecture de l’Évangile. Surtout lorsqu’il invite à servir plutôt que dominer, pardonner plutôt qu’à entretenir la haine, s’abaisser pour être élevé, ouvrir les mains plutôt que de serrer le poing, être disciples de Jésus plutôt que ses guerriers. Retrouver la confiance en Dieu et croire en l’Évangile plutôt qu’à nos recettes... n’est-ce pas le seul chemin possible ? Non pas pour reconstruire l’Église mais pour permettre que le visage qu’elle propose au monde ne soit pas celui d’une multinationale en dépôt de bilan, mais d’un corps où chacun est attendu et nécessaire pour que se révèle le sourire d’amour du Père.