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Navigation de carême, pour entrer dans la contemplation

Forest
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Benoist de Sinety - publié le 05/03/23
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"Nous voyons Dieu un peu comme le voyageur voit la forêt, bien assis sur sa pirogue" écrit le père Benoist de Sinety, curé de la paroisse Saint-Eubert de Lille. Sur le fleuve de la vie où s’écoulent nos existences, comment entrons-nous dans la contemplation ?

Dans la pirogue qui, remontant le fleuve, cherche à percer les murailles vertes de la forêt amazonienne, on se retrouve bercé par le rêve d’un monde où la vie ne cesserait jamais de jaillir, puissante et indomptable. Ici la terre est rouge, gorgée de promesses. Tout y pousse si vite : la nature sue de tous ses pores, engorgée, insatiable. Le soir tombe… les murmures et les chants, les craquements et les cris, qui composent le doux silence qui n’est pas l’absence de sons, mais l’absence de bruits. 

Cet appel à contempler

Le silence de la Vie : un silence qui respire et qui vibre. Un silence qui introduit dans cet espace de communion où l’homme est à sa place. Non dans la domination et la soumission de tout à ses désirs et ses peurs. Mais l’acceptation d’être lui en un monde qui le dépasse. Appel à découvrir, entreprendre, chercher et aussi contempler. Contempler, oui. Et cette phrase de la poétesse Marie Noël qui revient en mémoire : "Dieu : le seul, sans solitude".

L’erreur que nous commettons trop souvent est de penser que Dieu puisse être ennuyeux et qu’il est préférable de le tenir un peu à l’écart de nos vies.

L’erreur que nous commettons trop souvent est de penser que Dieu puisse être ennuyeux et qu’il est préférable de le tenir un peu à l’écart de nos vies, car s’il venait s’assoir autour du feu de joies sans fins dont nous aspirons à emplir nos jours, il risquerait d’être un triste sire, moraliste et rabat-joie. Cela dit bien, au fond, le regard triste que nous portons sur ces plaisirs après lesquels nous courons tant et tant : nous en devinons bien la fatuité, pour penser que le divin puisse y trouver à redire.

Nous voyons Dieu un peu comme le voyageur voit la forêt, bien assis sur sa pirogue. Déroulant sa vie, moteur lancé à toute puissance, il en remonte le cours. Il regarde de part et d’autre les murs d’une végétation qui semble impénétrable. Mais en ralentissant un peu il commence à pressentir qu’entre les racines entremêlées, il y a l’espace pour accoster. S’il en prend le risque, il découvre à chaque instant une beauté nouvelle, une grandeur nouvelle, un incroyable neuf. Les mots de Robert Frost résonnent aussi : "The woods are lovely, dark and deep, But I have promises to keep, And miles to go before I sleep, And miles to go before I sleep" — "Les bois sont beaux, sombres et profonds, Mais j’ai des promesses à tenir, Et des miles à parcourir avant de dormir, Et des miles à parcourir avant de dormir (ndlr)…"

Invitation à accoster

Qu’il se garde, le voyageur pressé, de se hâter de trop et de reprendre avant l’heure le chemin de sa course. Il faut aussi parfois demeurer en un lieu, goûter une clairière non pour s’y étendre, paresseux et dormeur, mais pour y accueillir sa propre réalité en contemplant celle de son Créateur. Comprendre qui l’on est en accueillant la manière dont Dieu se donne à notre connaissance. Pour Baudelaire le fleuve ajoute au charme d’un paysage ("Madrigal triste", Les Fleurs du mal). Peut-être parce qu’il permet, en fait, de le pénétrer, d’y être accueilli. À condition de ne pas chercher à le traverser pour aller toujours plus loin, toujours plus vite, et de ne rien voir d’autre que ce que l’on rêve de découvrir sans jamais pouvoir y accéder…

S’il ne faut jamais renoncer à avancer et répondre aux appels que lance le Méconnu espéré, ne renonçons pas non plus à prendre le temps de déposer nos vies afin de les laisser être rencontrées par Celui qui veut être notre présent. Sur ce fleuve de la vie où s’écoulent nos existences, ne poussons pas trop fort les moteurs de nos appétits qui risquent fort de rendre invisible les berges timides où se tient Celui qui nous invite à accoster pour poursuivre avec nous. Il ne vient pas pour les brider mais pour offrir un cap vers lequel avancer. Un cap qui ouvre dans les fourrés les plus touffus la place pour la lumière d’un soleil éternel.

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