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Quand les deux corps du pape n’en font désormais qu’un

The body of Pope Emeritus Benedict XVI
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Damien Le Guay - publié le 06/01/23
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Avant d’être porté en terre, sous la basilique Saint-Pierre, le corps du pape Benoît a été exposé le visage découvert. Président du Comité national d'éthique du funéraire, le philosophe Damien Le Guay voit dans cette exposition une pédagogie de la filiation par la foi entre les morts et les vivants.

Le pape est mort. Pour la première fois son successeur est déjà en fonction. Mais, comme toujours, une fois le pape mort, il est exposé, son corps est montré aux yeux de tous jusqu’au jour des funérailles. Exposé en habit rouge — couleur de la Passion —, mais le visage visible et les mains visibles. Cela n’est pas sans nous interroger sur cette manière, sans fausse pudeur, sans gêne, de montrer un mort dans toute sa rigidité cadavérique, sa blancheur de marbre. Il y là, de toute évidence, un arrangement, une manière de montrer la mort dans une certaine posture avec dans les mains croisées devant, un chapelet, et sur la tête la mitre papale. Cette théâtralisation organisée est une manière de dire que les deux corps du pape n’en font désormais qu’un. Joseph est devenu pape. Benoît XVI est devenu pape émérite. Et maintenant, depuis le 31 décembre 2021, les deux corps n’en font qu’un, même si le corps institutionnel du pape est désormais celui de François. La papauté, comme la royauté, ont des incarnations successives. Mais, au moment de la mort, les deux corps de Joseph-Benoît se présentent en majesté, et en pauvreté de cœur, devant le Seigneur. Le Seigneur de Joseph — lui qui avait une foi privée depuis toujours. Le Seigneur de Benoît — lui qui était un coopérateur de Dieu sur terre, à la tête de son corps-Église.

Un homme parmi les autres

Pourquoi, de la sorte, montrer ce corps mort ? Signalons qu’en septembre dernier, pour la reine d’Angleterre, devant quatre milliards de téléspectateurs, ses funérailles grandioses, lentes, étirées sur une longue semaine où tout s’est arrêté en Grande-Bretagne, respectueuses d’un rituel venu du fond des âges, de la reine d’Angleterre, ont été faites sans jamais montrer le visage mort d’Elisabeth II. Tout s’est fait autour de son cercueil. Le visage mort était réservé à sa seule famille, aux intimes de sa vie familiale. Le visage appartenait au domaine du privé, quand le cercueil lui était de l’ordre du public. Pour le pape Benoît XVI, lui qui n’a pas d’enfants, son visage mort appartient à sa famille, à sa nouvelle famille, à la famille de ceux qui croient en Jésus le Christ. La reconnaissance de cette nouvelle famille par la foi et non pas la filiation est un geste chrétien. À la question relative à sa mère et ses frères, Jésus dit (Lc, 8, 21) : "Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique." L’Église des croyants est une famille. Et le pape, placé à sa tête, serviteur de tous et souverain pontife, se doit, in fine, de se montrer tel qu’il est dans sa mort. 

Il fut chef, chef de l’Église, assis sur le trône de saint Pierre, mais, il est mort de la mort de tous. 

Seconde raison de montrer la mort : tout pape qu’il est, il n’en est pas moins homme, voué à la mort, à la mort de tous, sans être épargné par les stigmates du cadavre. Le pape est un homme parmi les autres hommes qui, quand il vient à mourir, meurt comme tout le monde. Certes il fut homme de foi, assuré de la résurrection, théologien de haut niveau, toujours à même de mettre le monde face à ses responsabilités et les chrétiens face à l’Évangile, mais sa mort fut humaine, aussi humaine qu’il était un homme parmi les autres. Et ceux qui viendraient à en douter, à croire à un sort particulier réservé aux serviteurs de haut rang, à une "odeur de sainteté" avant l’heure, l’exposition cadavérique est là pour ramener au sort commun cet homme-là. Il fut chef, chef de l’Église, assis sur le trône de saint Pierre, mais, il est mort de la mort de tous. 

La mort, une évidence partagée

Troisième raison : la mort est une épreuve de foi. La foi n’élude pas la mort, ne vient pas en faire une joie au regard du bonheur promis mais tente de l’habiter pour prendre en charge le chagrin, la douleur, l’angoisse et le deuil de la famille. Souvenons-nous de la stupeur de Dostoïevski quand, en visite à Bâle, il vit le "Christ mort dans son tombeau" de Holbein le jeune — tableau peint en 1521. Il en fut "effrayé", "anéanti" selon les termes de son épouse. Et dans l’Idiot, le prince Mychkyne, qui voit cette même œuvre, se demande si "en le regardant un chrétien peut perdre la foi" ! D’où mille et une manière d’éluder l’épreuve. Or, la mort est là. Bel et bien là. Elle est notre évidence partagée. Comment faire avec elle et non sans elle ? Telle est la sagesse de cette exposition du corps d’un pape mort qui est montré avec, dans le secret des cœurs, l’espérance d’un au-delà. 

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Le Christ mort au tombeau de Hans Holbein (Kunstmuseum, Bâle).

Dernière raison : de toutes les institutions, l’Église n’a pas peur de la mort. Elle ne la cache pas. Que ne dit-on sur le "tabou de la mort" qui s’est abattu sur nos sociétés occidentales désireuses de cacher la mort, de dissimuler aux yeux de nos concitoyens les morts et de réduire à la portion congrue le deuil ! Or, l’Église, elle, n’est pas atteinte par ce souci de dissimulation. La preuve. 

Revivez en images les funérailles de Benoît XVI :

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