Alors qu’on lui a régulièrement reproché de ne pas dénoncer l’agresseur russe plus explicitement, le pape François a eu des mots inhabituellement durs contre la Russie dans son entretien au magazine jésuite America publié le 29 novembre. Si la diplomatie vaticane tentait encore quelques jours auparavant de jouer les médiateurs entre Kiev et Moscou, les déclarations du pontife pourraient mettre à mal les efforts effectués ces derniers mois.
Dans un long entretien accordé à America, le chef de l'Église a été interrogé sur son positionnement concernant le conflit ukrainien, souvent jugé peu compréhensible par les soutiens de l’Ukraine. Ces derniers considèrent que le pape François évite de condamner la Russie et de nommer l’agresseur, Vladimir Poutine.
Dans l’entretien, François s’est encore vu opposer ce reproche et a tenu à affirmer son entier soutien à "l’Ukraine martyrisée", comme il le fait très régulièrement depuis plusieurs mois. Cependant, il a aussi insisté sur la violence de la guerre en cours, confiant avoir reçu "beaucoup d’informations sur la cruauté des troupes".
Semblant vouloir éviter d’accuser les Russes, il a alors pointé du doigt certains corps militaires composés de minorités ethniques vivant en Russie. "En règle générale, les plus cruels, peut-être, sont ceux qui viennent de Russie, mais qui n'adhèrent pas à la tradition russe, comme les Tchétchènes, les Bouriates et ainsi de suite."
Le chef tchétchène Ramzan Kadyrov a répondu au pape François, affirmant que ses propos étaient le signe (...) qu’il était la “victime de la propagande et de la persistance des médias étrangers”."
Colère en Russie
Cette référence aux deux minorités ethniques de Russie qui fournissent souvent des troupes de première ligne dans la guerre en Ukraine a provoqué la colère de Moscou. La ministre des Affaires étrangères Maria Zakharova a dénoncé une "perversion de la vérité à un niveau qu’on ne peut pas nommer", insistant sur l’unité de la "famille" russe, "pays multinational et multi-confessionnel".
Dans la presse, l’ambassadeur russe près le Saint-Siège, Alexander Avdeev, pourtant salué par le Pape comme "un humaniste, un homme qui lutte pour l’égalité", a exprimé "l'indignation" de Moscou pour "de telles insinuations". Le chef tchétchène Ramzan Kadyrov a répondu au pape François, affirmant que ses propos étaient le signe qu’il ne savait pas comment "les musulmans traitent l’ennemi" et qu’il était la "victime de la propagande et de la persistance des médias étrangers". Le chef de la république bouriate Alexei Tsydenov a pour sa part exprimé son étonnement, assuré que son peuple se défendait contre "le nazisme" et rappelé au pontife le soutien de ses prédécesseurs aux Croisades.
Une médiation vaticane discréditée ?
Les propos du Pape rendent à nouveau la proposition de médiation de la diplomatie vaticane très compliquée. Pourtant, si Moscou, par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères Sergey Lavrov, a toujours décliné l’offre, elle a toujours répondu "courtoisement" aux efforts du Vatican, a assuré le Pape à plusieurs reprises.
Un peu avant la publication de l’entretien, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, saluait la "volonté politique" du Vatican prêt à fournir une plateforme de négociation, avait fait savoir Reuters. Même si Moscou refusait une telle offre sans évolution de la position ukrainienne.
À présent, les relations semblent plus compliquées. Ce n’est pas la première fois que les paroles du pape semblent court-circuiter sa diplomatie. Cela avait été le cas dans son entretien au Corriere della Sera publié le 3 mai, où le pontife déclarait que le patriarche Kirill de Moscou "ne peut pas devenir l’enfant de chœur de Poutine". Propos qui avaient déclenché les foudres du patriarcat, tandis que plusieurs mois de froid avaient semblé succéder à cet épisode. Le jour même de la publication, l’Aide à l'Église en détresse (AED) a annoncé que deux prêtres catholiques restés en territoire conquis par les Russes avaient été arrêtés. Le Vatican n’a pas commenté ces arrestations et il est pour l’heure impossible de parler de représailles.