Qu’est-ce qui ne marche pas ? Il y a plus d’un an, les évêques de France recevaient au nom de l’ensemble du peuple de Dieu un rapport mettant au jour un nombre certain de crimes et de délits commis dans le cadre de leurs missions par des baptisés dont l’immense majorité sont des hommes ordonnés. La scène fut belle : quelques semaines plus tard, rassemblés à Lourdes, tous s’agenouillaient et promettaient de tout faire pour soutenir les victimes et prévenir toute récidive. Douze mois plus tard, où en sommes-nous ?
Le malaise des prêtres devant la déchristianisation
Il faut du temps. Du temps pour encaisser un choc qui était déjà bien annoncé dans beaucoup d’évêchés mais dont très peu avaient pris la mesure dans sa globalité. Du temps pour réfléchir et agir. Du temps, oui, mais pas l’éternité ! La mise à la une depuis quelques mois du sérieux malaise qui touche bien des prêtres le révèle : la maladie est bien plus profonde que les symptômes des seuls crimes sexuels ne le laissaient envisager. L’appel à la mission qui retentit depuis la fin du dernier concile est-il encore reçu ? Des générations de prêtres se sont exténuées à bouger et se bouger dans un enthousiasme généreux pour annoncer Jésus-Christ à un monde qui apprend de plus en plus à vivre sans lien explicite avec Dieu. Ont-ils agi en vain ? Le Jour venu révèlera les fruits que nous n’avons pas la joie de contempler ici-bas mais les statistiques sont là, impavides. Ont-ils eu tort ? Certes non. Ils furent les premiers à entendre comme groupe un tel appel et à le prendre au sérieux. Ce qui est loin d’être rien.
Mais il faut regarder le réel en face, aussi déplaisant soit-il pour notre amour propre : lorsque la question est posée à nos concitoyens, toutes traditions religieuses confondues, s’ils croient en Dieu, 27% répondent "oui", 41% ne savent pas et 31% professent leur athéisme (sondage Odoxa, septembre 2022, sur un échantillon de 1.000 personnes). Nous voici donc dans un pays où un peu plus d’un quart des habitants disent croire en Dieu. Les sociologues et historiens analysent les causes qui conduisirent à cela.
Chercher des remèdes
Il ne nous est pas interdit non plus d’y chercher les remèdes. Car lorsque les hommes apprennent à vivre sans lien explicite au divin, que peut-il advenir ? L’absence de transcendance n’est-elle pas le risque majeur de notre humanité ? Le morcellement de notre société, le renoncement à l’intégration dans le discours public, au profit d’une assimilation non seulement impossible mais mortifère, poussent nombre d’entre nous à un individualisme fou. Et, dans ce paysage crépusculaire, l’Église est devenue une sorte de théâtre misérable où l’on se déchire pour des questions de sacristie, quand sur les parvis la plupart passent sans même plus remarquer le clocher.
Un ami, à l’annonce d’un nouveau scandale ces derniers jours, m'écrivait sa profonde lassitude : "Qui sera le prochain ? Je n’en peux plus de voir tous ces dignitaires se révéler tartuffes... J’ai peur de ne plus arriver à aller à la messe, de ne plus pouvoir croire quiconque dans un clergé où l’on préfère se taire pour protéger quelques-uns, en risquant l’honneur de tous." La foule est déjà nombreuse de ceux qui, sans bruit, renoncent. On peut toujours se rassurer en regardant ceux qui sont encore là et qui, les jeunes notamment, donnent l’impression d’avoir une foi à soulever les montagnes. Mais il serait irresponsable pour les plus âgés de se conforter à bon compte : "Vous voyez, ils sont formidables nos jeunes !" Car nous savons, nous, que dans vingt ans, ces jeunes parvenus à l’âge mûr se retrouveront une poignée, une fois leurs parents et grands-parents disparus, à se présenter au monde comme disciples de Jésus.
C’est à chacun de s’engager
C’est bien plus qu’à un toilettage des séminaires et à un habillage de communication qu’il nous faut réfléchir. J’écris bien "nous" car c’est bien l’ensemble du peuple de Dieu qui est appelé à œuvrer et à s’engager pour l’Église de demain. C’est à chacun de s’engager, non à l’appel de quelques-uns mais par la vocation baptismale que tous, nous avons reçue. S’engager non pas seulement pour répondre aux questions posées par quelques-uns, mais aussi pour chercher ensemble des réponses. Sinon, nous nous comporterons comme nous le faisons pour les affaires publiques, en creusant des déficits que les générations suivantes ne pourront combler : nous le savons et pourtant nous nous y compromettons.
La synodalité à laquelle nous sommes appelés n’est pas d’abord le moyen qui nous est proposé pour mieux "faire Église" ensemble aujourd’hui. Mais bien pour permettre que demain d’autres puissent témoigner de ce trésor de la foi dans un monde en grandes secousses.
En nous contentant d’être navrés, révoltés ou indifférents à cet exode intérieur que vit l’Église en France aujourd’hui, nous acceptons d’être des commentateurs de nos propres funérailles sans rien faire pour que nos successeurs puissent espérer vivre mieux que nous.
La synodalité à laquelle nous sommes appelés n’est pas d’abord le moyen qui nous est proposé pour mieux "faire Église" ensemble aujourd’hui. Mais bien pour permettre que demain d’autres que nous, je parle pour les plus âgés, puissent témoigner de ce trésor de la foi dans un monde en proie à de grandes secousses. Est-ce pour cela que beaucoup regardent cette démarche avec ironie ou scepticisme ? Parce qu’ils n’y trouvent pas d’enjeu pour eux-mêmes ? Ce serait le signe que notre génération est alors bien morte. Mais non, il n’en est rien, car l’Esprit ne cesse, en dépit de toutes nos résistances, de souffler et de souffler encore ! N’ayons pas peur de nous laisser bouleverser par Lui, en ne lui objectant ni conditions ni sagesses éphémères...