Voilà que les mots de sobriété, d’économie d’énergie, de prudence, de tempérance reviennent en force alors que l’hiver n’a pas commencé. La peur des coupures d’électricité, de gaz et donc de chauffage est agitée par des décideurs en col roulé, remettant à la mode cet habit pour inciter à un mimétisme respectueux des ressources, si tant est que la volonté de les imiter soit très présente. Nous jouons au gagne-petit, à la parcimonie vertueuse, autant pour épargner notre porte-monnaie que pour sauver la planète. Les injonctions se répètent chaque jour afin qu’un schéma de culpabilité soit bien ancré dans nos têtes de gamins riches mal éduqués.
À tel point que certains souffrent d’éco-anxiété, surtout chez les plus jeunes, et le simple fait de vivre, donc de respirer ou de consommer, devient coupable. Au même moment, le simple fait d’être un homme devient un problème : pas un jour sans qu’une "affaire", réelle ou supposée, ne défraye la chronique d’abus en tous genres de la part de mâles prédateurs. Certains hommes deviennent paralysés, fouillant leur mémoire pour se demander si un jour, quelque part, une parole, une attitude ne pourrait pas se retourner aujourd’hui contre eux, racontée par quelqu’un à qui on accordera forcément le crédit de leur récit car femme. Certains n’osent plus défendre la vérité de peur que cette défense ne donne l’occasion à certaines de disqualifier leur action par une prise de parole tout autant opportune qu’invérifiable.
Tous coupables !
"Tous coupables" comme le scande l’inspecteur général dans le Cercle rouge de Melville. Écrasés par cette culpabilité diffuse, la joie a disparu. La joie d’une rencontre dans la simplicité, la joie d’une consommation dans la sobriété, la joie d’une séduction dans le respect de l’autre. Un voile de peur est jeté sur tout et sur tous : tout est politique, tout est écologique, tout est patriarcal, tout est genré et nous sommes tous coupables, soumis à l’inquisition de papesses médiatiques qui ne sont jugées par personne.
Chaque parole doit être pesée de peur qu’elle ne se retourne contre vous et vous envoie dans le fleuve des enfers médiatiques.
Chaque parole doit être pesée de peur qu’elle ne se retourne contre vous et vous envoie dans le fleuve des enfers médiatiques. Comme en son temps pour la théologie de la libération, dont les fondements spirituels sont justes et évangéliques, certains déraillent dans l’idéologie, non plus marxiste mais féministe ou écologique. Le dénominateur commun est toujours la violence de ces dérives hérétiques. Comme en son temps, la théologie de la libération versait dans la violence pour la défense des paysans pauvres d’Amérique du Sud, violence qui se voulait justifiée car il était fait réellement violence à ces paysans, une violence est ici justifiée, car il est fait violence aux femmes ou à la planète.
On ne juge pas, on condamne
"Voir, juger, agir" était le juste triptyque d’une théologie pastorale sur des réalités humaines que l’Église institutionnelle ne prenait pas assez en compte. Ce triple mouvement est aujourd’hui dépassé : on ne se contente pas de voir, on cherche, on fouille, voire on fait du testing avec les hommes politiques pour savoir comment ils se comportent avec les femmes. On va mener des enquêtes pour savoir si les 19°C intérieurs sont bien respectés, on épie les mouvements et dénonce quelques grands patrons au gros bateau ou aux petits avions, en avalant le chameau d’immenses entreprises pour filtrer le moucheron de quelques riches. On ne juge pas : on condamne publiquement, en jetant en pâture des noms sans que la justice n’ait rien validé ou infirmé.
La violence engendre la violence et dans ce cercle vicieux, il est urgent de dire stop en opposant la non-violence chrétienne dans chaque sujet de réflexion.
Pour la plupart d’entre nous qui avons été élevés avec des principes simples et efficaces, nous sommes consternés par ces polémiques. On nous a appris, dès l’enfance, à respecter l’autre, par des injonctions à la civilité répétées mille fois qui nous ont conduit à ne pas avoir l’idée de mettre une gifle à quelqu’un, encore moins à une femme et de façon impensable à son conjoint. On nous a appris à éteindre la lumière, à ne pas laisser couler l’eau, à enfiler un pull quand on a froid, à manger les restes et à finir son assiette. On nous a appris à ne mépriser personne et à ne rien gaspiller, ce qui est en fait la même chose. Oui, tout cela était le fruit d’une certaine éducation qui a été tant décriée, mais dont je ne cesserai de rendre grâce à mes parents jusqu’à la fin de mes jours.
"Voir, juger, agir"
Les révolutions mangent leurs enfants et ces enfants sont ceux de mai 68 qui proclamaient qu’il est interdit d’interdire, que l’on peut tout faire quand on veut, si on veut, avec qui on veut et l’addition est amère pour les victimes de cette soi-disant libération qui n’a apporté que violence. Quand Valery Giscard d’Estaing autorise la pornographie au nom de la liberté des mœurs, on se rend compte cinquante ans plus tard qu’elle est un désastre pour les femmes qui y sont exploitées. Que n’a-t-on pas moqué les évêques en 1975 qui s’indignaient de cette licence ! Nous avons eu aussi en son temps les chantres de la pédophilie, de la drogue, de l’inutilité du mariage et de la morale. Tout cela pour être aujourd’hui culpabilisé en permanence sur certains sujets choisis par les hérauts médiatiques qui font le tri en fonction de leur confort personnel et de leur conformisme sociétal. La violence engendre la violence et dans ce cercle vicieux, il est urgent de dire stop en opposant la non-violence chrétienne dans chaque sujet de réflexion. Ni les démarches excluantes "d’ateliers néo féministes non mixtes racisés" d’un côté, ni les triptyques savoureux "Dieu, patrie, famille" qui flattent la reconquête de certains en faveur d’un confort bourgeois et d’une paix sociale fantasmée de l’autre ne feront avancer les choses.
La non-violence systémique est beaucoup plus lente, beaucoup plus onéreuse mais c’est la seule réponse chrétienne pour s’opposer à ces formes de violence que le monde nous propose ou fabrique. Cette non-violence peut reprendre avec bonheur le triptyque "voir, juger, agir" : voir le réel et ne pas se cacher derrière son petit doigt ou refuser certains sujets qui fâchent, écouter les uns et les autres sans exclure tel ou tel ; juger, ce qui ne signifie pas condamner a priori mais poser des diagnostics sur de réels problèmes, s’informer de toutes les solutions possibles, éduquer le plus grand nombre ; agir, par la puissance publique mais aussi par la vertu individuelle proposée par conviction et non par peur ou menace. Ce peut être un choix de société, un choix d’hommes et de femmes politiques qui vont policer — au sens le plus noble — nos concitoyens.