C’est l’épicentre tragique des violences dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest. Les attaques perpétrées par des groupes armés affiliés à Al-Qaïda et l'État islamique s’y multiplient et le caractère de la terreur semble s’aggraver de façon dramatique. Alors que les persécutions contre les chrétiens augmentent au Nigéria, le Burkina Faso s’enfonce à son tour dans une spirale de violence. Dans la nuit du 3 au 4 juillet, 22 personnes (d’après un premier bilan officiel provisoire) ont été tuées lors d’une attaque à Bourasso, dans le diocèse de Nouna, au nord-ouest du Burkina Faso.
Pour un missionnaire installé depuis plus de trente ans au Burkina Faso, il s’agit d’une "tragédie sans fin". Connu pour de nombreux projets d’évangélisation sur place, membre d’une congrégation à vocation missionnaire dont l’histoire remonte au XVIIème siècle, ce religieux de soixante ans, décrypte pour Aleteia la situation dramatique du pays et celle des chrétiens persécutés. Pour des raisons de sécurité, pour lui comme pour son entourage, ni son nom ni sa localisation ne peuvent être dévoilées.
Aleteia : Pour quelle raison tenez-vous à ne pas dévoiler votre nom ?
Je dois protéger mes proches, mes paroissiens et ma propre vie. L’information circule très vite, je connais des personnes qui ont critiqué des terroristes et qui ont été tuées ou enlevées ensuite… Et puis, on ne sait jamais à qui on a à faire. J’ai déjà été surpris de voir des citoyens que je connaissais se comporter du jour au lendemain comme des terroristes. Il faut donc faire très attention.
Après le massacre du week-end dernier où 22 personnes ont été assassinées, pensez-vous que les groupes terroristes cherchent de façon de plus en plus violente à déstabiliser toute la région du Sahel ?
Depuis 2015 au Burkina Faso, la situation s’est nettement détériorée. Et depuis le début de cette année, c’est plus de 40% du pays qui est passé sous la domination terroriste, c’est-à-dire que près de la moitié du pays est hors de contrôle de l’État. La conséquence, c’est deux millions de personnes déplacées, qui ont du fuir en urgence leur maison, leurs biens, leur ferme, leur bétail. Ils vivent maintenant dans une misère extrême, sans rien. Il y a eu des milliers d’assassinats, de nombreux prêtres kidnappés, dont un d’ailleurs qui était l’enfant de cœur dans ma paroisse il y a trente ans. Il y a deux ans, il partait dans un village célébrer la messe… nous n’avons plus nouvelle depuis. Nous vivons ici une tragédie sans fin.
La situation économique du pays est catastrophique : les djihadistes minent les routes pour que le trafic de marchandises soit bloqué, d’où la famine car les vivres ne peuvent pas être acheminées. En plus, des milliers d’écoles sont fermées comme plus d’une trentaine de paroisses. Les chrétiens ne peuvent plus se rassembler sans risquer d’être égorgés ou enlevés par des terroristes. Ici, comme au Niger ou au Nigéria, on a peur que le Burkina Faso disparaisse.
Les chrétiens sont-ils la première cible des djihadistes ?
Au début ils s’attaquaient à tous indistinctement. Maintenant, ils ne tuent que les hommes. Ils laissent vivre les femmes qui sont violées par la suite, et leurs enfants. Oui, la majorité des tués sont des chrétiens catholiques et protestants, mais il y a aussi des imams et des musulmans, ceux qui ne veulent pas se soumettre à la terreur.
Armés de kalachnikovs, les terroristes prêchent au nom d’Allah, appellent tous à se convertir à l’Islam, à fermer les écoles, à ne plus aller dans les églises...
Au Burkina Faso, les médias contrôlés par l’État ne parlent pas de tout ce qui passe, pour ne pas faire paniquer la population. L’armée est dépassée. Elle a en face d’elle des terroristes qui frappent par surprise, n’importe où, surtout la nuit. En ce moment, leur mode d’opération est le suivant : si l’armée parvient à neutraliser des terroristes, ou qu’elle tue l’un de leurs chefs, ils cherchent à se venger. Armés de kalachnikovs, ils arrivent dans un village, ils appellent toute la population à un rassemblement public. Ils prêchent au nom d’Allah, appellent tous à se convertir à l’Islam, à fermer les écoles, à ne plus aller dans les églises et enfin à ne plus boire de la bière et à s’habiller autrement. Ensuite, ils donnent 48 heures aux habitants pour se décider et, juste pour effrayer la population, ils tuent quelques hommes. Les gens fuient sans rien emporter… Les autorités parlent de moins de deux millions de déplacés, mais je pense que ce chiffre est plus important. Dans la périphérie de la capitale Ouagadougou, il y a des camps de réfugiés qui vivent dans la misère, même s’il y a, heureusement, des associations caritatives qui font ce qu’elles peuvent.
Pourquoi la terreur s’aggrave actuellement ?
Pour le comprendre, il faut se rappeler le printemps arabe de 2012 dans les pays de l’Afrique du nord. Les médias français disaient à l’époque que Kadhafi allait massacrer les populations. De son côté, Kadhafi avait prévenu que si on le déstabilisait, cela profiterait au Djihad. Alors que le président français de l’époque voulait anéantir le régime de Kadhafi, les terroristes djihadistes, grâce aux armes volées en Lybie, ont attaqué le Mali, le Niger et le Burkina Faso, dans le but d’installer un califat en Afrique de l’ouest. La France a voulu aider pour enrayer les terroristes, mais elle n’a pas réussi : les djihadistes se sont dispersés pour passer à une nouvelle stratégie afin de conquérir le terrain.
Deux ans plus tard, les Burkinabe se sont soulevés contre le régime du président Blaise Compaoré qui exerçait une dictature depuis très longtemps. Il a donné notamment l’ordre à l’armée de tirer sur les manifestants, mais celle-ci a refusé d’obéir. La même année, Compaoré, soutenu par la France, a manipulé des groupes terroristes pour déstabiliser le nouveau pouvoir. La France a des intérêts géopolitiques ici : les pays de la région ont des grands gisements d’or. En 2015 seulement 10% de l’or extrait est entré dans la poche de l’État, tout le reste part dans les puissances étrangères, dont la France qui avait donc intérêt de maintenir un pays autoritaire et non pas démocratique.
Les Burkinabe se rappellent très bien l’intervention de la France en 2012 avec l’Otan en Lybie. Ils ne comprennent toujours pas son rôle car aujourd’hui, les terroristes favorisés par Compaoré, l’homme soutenu par la France, déstabilisent tout. Les conséquences de 2012 sont très néfastes, ce que les Africains ont du mal à pardonner à la France et à l’Otan. C’est la raison pour laquelle, ils se tournent vers la Russie, qui se vante de son bilan en Syrie contre les terroristes.
Quelles sont les relations entre l'Eglise de France et la communauté catholique burkinabé ?
L’église catholique française a laissé au Burkina Faso un grand héritage, notamment avec l’arrivée des missionnaires français, les pères blancs qui étaient les premiers. Il y en a encore quelques-uns, très âgés. Cet héritage est bien vivant et les Burkinabé y sont très attachés. Les liens entre les communautés chrétiennes locales et françaises sont bien vivantes. Chaque été, de très nombreux prêtres burkinabé partent en France remplacer les prêtres français le temps de leurs vacances.
Vous avez l’expérience de trente ans de mission d’évangélisation au Burkina Faso. Vous construisez des églises, menez des projets auprès des plus défavorisés…
En 2014, j’ai été affecté à une paroisse de la périphérie de Ouagadougou. Il n’y avait rien, aucune infrastructure. La communauté chrétienne s’est mobilisée et nous avons pu construire une église en quatre ans, avec en plus son presbytère et d’autres bâtiments autour. Cela a été un travail immense. Aujourd’hui, nous sommes quelques prêtres pour animer cette grande paroisse : nous avons notamment 3.000 enfants et 600 adultes qui suivent la catéchèse. Cela demande beaucoup de préparation, mais les laïcs nous aident beaucoup. Bien sûr, chaque jour on célèbre une messe le matin et une autre le soir. La vie de la paroisse est intense : des neuvaines à la Vierge Marie et à la Miséricorde divine sont récitées une fois par semaine. Nous célébrons quatre messes le dimanche dans les différentes chapelles. Il y a aussi une soixantaine de communautés chrétiennes de bases (CCB) et une dizaine de groupes de prière à visiter. On leur propose des retraites et des formations. En plus il faut trouver du temps pour visiter les malades, célébrer les défunts, confesser, donner des conseils… La journée est bien remplie du matin au soir !
C’est l’objectif des terroristes : provoquer la guerre entre chrétiens et musulmans. Je rends grâce à la sagesse du cardinal de Ouagadougou comme à celle des principaux imams du pays qui ne tombent pas dans ce piège.
Comment vos paroissiens vivent-ils les persécutions actuelles des chrétiens ?
Il ne faut pas pas oublier que chrétiens et musulmans sont mélangés au sein des mêmes familles et que les musulmans sont aussi des victimes des terroristes. Parmi les victimes comme les déplacés, il y a plus de musulmans que de chrétiens. Toutes les paroisses essaient d’aider autant les musulmans que les chrétiens. Les entreprises y contribuent également. C’est précisément l’objectif des terroristes : provoquer la guerre entre chrétiens et musulmans. Je rends grâce à la sagesse du cardinal de Ouagadougou comme à celle des principaux imams du pays qui ne tombent pas dans ce piège. Ils veulent œuvrer pour la paix.
Comment gardez-vous l’espoir pour le Burkina Faso ?
Il faut s’en remettre à la Providence… En attendant, nous ne savons pas si le temps ne viendra pas bientôt pour fuir ou se cacher… Le cardinal Ouedraogo, archevêque de notre capitale Ouagadougou, nous demande de prier et jeûner pour la paix avec nos frères musulmans pour ne pas tomber dans le piège de la haine.
Du haut de vos trente ans de mission au Burkina Faso, qu’est-ce qui vous préoccupe le plus aujourd’hui ?
Ce qui me fait très mal, c’est que l’évangélisation est bloquée. 40% du territoire nous est interdit. Plus de prières, plus de messes, plus de rassemblements. Je vois 30 années d’évangélisation soudainement interrompues.
Concrètement, comment les catholiques français peuvent vous aider ?
Qu’ils nous soutiennent par la prière, qu’ils interpellent les autorités françaises pour qu’elles soient pionnières pour la paix, la France peut faire beaucoup ici. La conférence épiscopale au Burkina Faso a publié une prière pour le retour de la paix. Je la récite comme beaucoup de nos paroissiens tous les jours. Si j’ai un message à adresser à vos lecteurs, c’est celui-ci : Joignez-vous à notre prière :