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Les insectes, ces méconnus mal-aimés et menacés

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Tugdual Derville - publié le 17/06/22
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C’est le printemps, le ciel embaume, les insectes volent et butinent. Socle vital de la biodiversité, ils sont pourtant mal-aimés et menacés. Auteur d’“Animaux dans l’Evangile” (SFPC) et chasseur de papillons averti, Tugdual Derville voit dans ces bestioles à six pattes une source inépuisable d’émerveillement, même s’il faut s’inquiéter de l’effondrement de leurs populations.

« Va-t-en ! chétif insecte, excrément de la terre. » S’il est un point sur lequel la plupart des urbains comme des ruraux s’entendent encore avec le lion de La Fontaine, méprisant insulteur du moucheron qui l’agace, c’est le statut des « petites bêtes » en général, et des insectes en particulier, généralement confondus. Peu font la différence entre les insectes (leurs six pattes et leurs pièces buccales apparentes) et les autres arthropodes (cloportes, mille-pattes, araignées, tiques, scorpions, etc.). Tous sont objet d’ignorance et, en général, d’aversion, sauf de la part des spécialistes. Ces derniers savent à quel point ils constituent le socle vital de la biodiversité, tant animale que végétale. Un seul exemple : 80 % des plantes sauvages en dépendent pour leur pollinisation.

Entre trois et trente millions d’espèces… à découvrir

Paradoxe de la nature : d’un côté, les insectes sont les animaux les plus meurtriers, par la transmission de maladies ; de même que la peste moyenâgeuse anéantit jusqu’à 50 % de la population européenne, à cause du vecteur puce, la malaria tue encore environ 800.000 personnes chaque année dans les pays tropicaux, via certaines espèces de moustiques... Mais, d’un autre côté, la vie sur terre serait menacée si disparaissait cette base de la chaîne alimentaire. On a déjà décrit un million d’espèces d’insectes. Ils représenteraient à eux seuls 70 % de la biodiversité animale. Il resterait à en découvrir entre trois et… trente millions ! La marge d’incertitude dit le mystère. Promesse de multiples découvertes et source inépuisable d’émerveillement.

La plupart des experts s’inquiètent, estimant à 80 % la chute de leur nombre [des insectes] en Europe en trois décennies.

L’effondrement de leurs populations devrait préoccuper l’ensemble de l’humanité. Mais comment mesurer les dégâts ? Les entomologistes s’accordent pour regretter l’absence de données suffisantes au long cours, tout en se désolant devant l’évidence : après chaque voyage printanier, nos pare-brises ne sont presque plus constellés de débris d’insectes, happés par la vitesse. En quelques décennies, les papillons, de jour comme de nuit, se sont fait discrets. Chacun a entendu parler — grâce aux apiculteurs — des polémiques autour de la surmortalité des abeilles domestiques, face émergée d’un iceberg, car la chute démographique des abeilles sauvages — et notamment du bourdon terrestre (Bombus terrestris) — encore plus indispensables à la pollinisation, est catastrophique. En cause, la réduction et l’appauvrissement des écosystèmes nécessaire à leurs cycles de vie, l’artificialisation des sols, l’éclairage nocturne, les bouleversements climatiques et des décennies d’épandage massif d’insecticides de plus en plus puissants. Qu’en pense le grand public ? Et que peut-il faire ?

Regards incompatibles

Certes, il est régulièrement sollicité pour des campagnes d’observation participatives. Plus symboliques qu’efficaces, elles ont le mérite d’encourager les bénéficiaires d’un jardin — voire d’un simple balcon — à regarder enfin avec précision leurs minuscules habitants ou visiteurs, sans réserver leur admiration aux insectes exotiques. Ces derniers, réputés plus beaux, sont surtout — sous les tropiques — plus gros. Mais nous croisons — dans toute la France, même dans les zones urbaines — des spécimens aux parures rutilantes. Exemple ? Le magnifique bupreste du thuya (Lamprodila festiva) que sa petite taille (1 cm) rend discret. Quand on cherche sur Internet des informations à propos de ce coléoptère, notre ambivalence vis-à-vis des insectes saute aux yeux : « Le bupreste du thuya : comment s'en débarrasser ? » titre un article du site du Monde, dans sa rubrique jardinage — car c’est un « ravageur » des murs végétaux monotones qui envahissent les zones pavillonnaires. Au contraire, les sites naturalistes soulignent que « l'insecte est protégé dans de nombreuses régions dont l'Ile-de-France » ! Regards incompatibles. Il faut cependant comprendre que les agriculteurs — plus encore que les jardiniers — répugnent à voir leurs récoltes ruinées par les insectes.

Sur fond de crise indéniable de la biodiversité, une polémique oppose depuis plusieurs années des entomologistes (spécialises des insectes), à coup d’articles contradictoires publiés dans des revues scientifiques prestigieuses. La plupart des experts s’inquiètent, estimant à 80 % la chute de leur nombre en Europe en trois décennies. Certains vont jusqu’à brandir la menace exagérée d’une extinction totale : « Les insectes pourraient disparaître de la planète d’ici 100 ans », titrait un article du Monde en février 2019. Mais quelques naturalistes ont cru pouvoir relativiser l’alerte. Dans un article de Science daté d’avril 2020, un groupe d’auteurs laissait entendre que la chute observée n’était pas aussi vertigineuse qu’on le disait. Ce revirement s’appuie sur une vaste compilation d’études : les insectes terrestres n’auraient baissé que de 9% par décennie et le nombre d’insectes aquatiques auraient même cru de 11% par décennie ! Cette méta-étude « rassurante » a aussitôt généré de vives protestations et contrefeux : d’autres naturalistes jugent ses données contestables, voire absurdes, à la fois disparates et biaisées.

Le poison des néonicotinoïdes

À l’image du débat sur le climat, ce n’est pas seulement l’ampleur de la catastrophe entomologique qui est discutée ; ses causes sont également vivement débattues. Sur ce point, des mouvements de défense de la biodiversité mondialement connus ont été accusés de conflits d’intérêts, pour avoir accepté des financements d’industriels de l’agroalimentaire. Ils sont suspectés par leurs détracteurs soit de relativiser soit de taire la cause « chimique » de l’effondrement des insectes, c’est-à-dire les « néonicotinoïdes », ces (trop ?) efficaces pesticides. Pour parvenir à leurs fins, ces firmes utiliseraient la technique du rideau de fumée. En investissant massivement sur la recherche d’autres causes de la chute des insectes, ils tentent d’axer la communication des défenseurs de la nature sur ces dérivatifs, pour faire oublier le « poison » avéré que constituent les néonicotinoïdes. C’est ainsi que les industriels du tabac ont longtemps agi, quand ils finançaient les recherches sur les « autres causes » du cancer que le tabagisme.

Comment faire comprendre la valeur des insectes ? Les fascinants oiseaux (dont beaucoup dépendent de leurs petites proies) sont spontanément défendus, car en tout être humain sommeille un ornithologue prompt à s’émerveiller. Mais les bestioles sont trop petites pour être populaires et trop envahissantes — et quelques espèces agressives — pour ne pas susciter le rejet. Leurs défenseurs se désolent à raison de leur peu de poids dans le débat public. Les amoureux de la nature se consolent en laissant aux insectes, dans les espaces placés sous leur responsabilité, des zones soigneusement non jardinées, où les herbes folles et les tas de bois en décomposition leur offrent le gîte et le couvert. Maigre consolation, car c’est ensemble qu’il faut relever le défi. Les insectes ne sont qu’une pièce maîtresse — quoique que largement cachée — du puzzle complexe de la biodiversité, dont tous les éléments sont à relier.

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