"L’Église, cela veut dire que nous sommes une famille, que nous sommes frères et sœurs, et que nous avançons et vivons notre foi ensemble, ce qui nous réjouit. Notre Église grandira si nous appliquons ce que nous avons entendu et partagé aujourd’hui." Ce n’est pas un grand dignitaire ecclésiastique qui prononce ces mots, mais un enseignant du secteur pastoral de Takéo, au Cambodge. Il s’appelle Sorn Meak et participait le 14 mai dernier à la rencontre des 200 représentants des communautés catholiques du pays, à Phnom Penh, qui examinait les réponses à la démarche synodale initiée comme dans tous les pays du monde, depuis quelques mois.
Présents depuis le XVIIe siècle sur cette terre, les catholiques cambodgiens y représentaient 0,14% de la population en 2010, soit un peu plus de 21.000 personnes. L’effroyable génocide perpétré par les Khmers rouges entre 1975 et 1979, et qui provoqua la mort de près de 2 millions de personnes soit un quart de la population, a notamment fait disparaître tous les catholiques ou presque. Sorn Meak est un des visages de cette nouvelle génération de baptisés qui n’a que très peu bénéficié de la transmission de la foi par des générations aînées : il est de ceux qui vont tisser en cette terre ce corps du Christ que rien, pas même la mort, ne peut réduire en cendres.
Un certain narcissisme
En lisant sur le site des Missions Étrangères de Paris l’article qui rapporte cet événement, je songeais à la manière parfois un peu cavalière avec laquelle nous considérons cette démarche synodale à laquelle nous aussi en France, sommes invités à nous associer. On entend nombre de baptisés dire aujourd’hui leur déception devant une forme de dédain de quelques clercs devant ce chemin qui se dessine. On explique que tout cela est "fumeux", "beaucoup de bruits pour rien", pour ne pas dire "inutile"... D’autres fois, les comptes rendus mettent en avant les clivages générationnels au sein des diocèses sur des questions comme la liturgie, la mission... Il faut bien le dire, l’impression est souvent que nos communautés, lorsqu’elles s’interrogent sur la manière de cheminer ensemble, courent le risque de se regarder le nombril avec un certain narcissisme ou une propension à se désoler de tout.
Quelle que soit notre génération, nous donnons l’impression de nous comporter comme des vieux grincheux, agrippés à notre histoire et incapables d’envisager une suite qui ne soit pas un retour en arrière.
C’est bien là le problème ; quelle que soit notre génération, nous donnons l’impression de nous comporter comme des vieux grincheux, agrippés à notre histoire et incapables d’envisager une suite qui ne soit pas un retour en arrière. Nous sommes plus acharnés à nous convaincre mutuellement que nous avons raison et que l’autre à tort, qu’à partager sur ce qui nous fait vivre, notre foi. Nous sommes tellement angoissés de tout ce qui est différent que nous n’arrivons plus à donner à notre prochain le nom de frère dès qu’il ne nous ressemble pas trait pour trait.
Il n’y a pas que des milliers de kilomètres qui nous séparent du Cambodge, il y a des générations d’embourgeoisement moral et catéchétique qui nous étouffent au point de ne plus voir l’avenir que comme une source d’inquiétudes. Nous considérons l’ordre établi des choses comme le point d’aboutissement de notre Espérance sans voir qu’il nous masque du coup ces prémices du Royaume dont nous devons être les prophètes et les hérauts. Il est plus que temps de nous réveiller !
Cette indispensable mise en mouvement
La beauté de l’Église tient notamment dans sa catholicité, son universalité. Elle est une grâce pour nous car la vitalité des uns doit sortir les autres de leur torpeur. Nos frères et sœurs cambodgiens ont vu sous leurs yeux le pire des cauchemars. Tout aurait dû y sombrer. Et ils sont là, debout, dans la position du Ressuscité, se réjouissant de se retrouver ensemble et d’être appelés ensemble à témoigner, petite poignée presqu’invisible au microscope des sociologues, de l’Amour de Dieu pour le monde. Et nous, assis sur nos canapés, allons-nous encore longtemps trouver inutile cette indispensable mise en mouvement à laquelle l’Esprit nous appelle ? Allons-nous encore longtemps, prêtres, continuer de penser que nous avons seuls la connaissance de ce qui est juste et bon pour le corps tout entier ? Allons-nous encore longtemps, baptisés, nous mépriser les uns les autres au nom d’idéologies dont l’Évangile n’a que faire ?
N’est-il pas temps de nous regarder les uns les autres et de nous parler, en conversant vraiment et non d’abord en cherchant à nous enseigner, afin de pouvoir travailler ensemble dans la diversité de nos charismes et de nos talents à cette Révolution de l’Amour à laquelle nous sommes appelés ?