La mise en cause du cardinal Joseph Zen par la justice locale pour « collusion avec une puissance étrangère » suscite une vive « inquiétude » du côté du Vatican, qui a œuvré difficilement pour un rapprochement avec la République populaire de Chine ces dernières années. Le cardinal Zen est mis en cause par la justice de son pays avec quatre autres membres du comité de direction du « 612 Humanitarian Relief Fund », une association visant à l’origine à financer les manifestants pro-démocratie de Hong Kong. « Les personnes concernées sont soupçonnées de conspiration et de collusion avec des pays étrangers ou des forces étrangères dans le but de mettre en danger la sécurité nationale – un acte de nature grave », a déclaré dans un communiqué le Bureau du commissaire, soit la représentation du ministère des Affaires étrangères de Pékin à Hong Kong.
Le communiqué du Saint-Siège, publié quelques heures après l’annonce de l’arrestation du cardinal Zen, soulignait d’ailleurs que le Saint-Siège suivait « de très près » l’évolution de l’affaire, mais se gardait de tout commentaire. Du côté du diocèse de Hong Kong, dirigé depuis décembre 2020 par Mgr Stephen Chow, jésuite de 62 ans, il aura fallu plus de vingt heures pour que soit publiée une réaction officielle, preuve de la nature délicate de cette affaire. Tout en se disant « extrêmement préoccupé », le diocèse a insisté sur l’importance de gérer cet « incident » en conjuguant le « respect de la loi » et le maintien de la liberté religieuse dans la « Loi fondamentale ».
Une longue liste d’emprisonnements
Cette dernière – cadre juridique de la région administrative d’Hong Kong vis-à-vis du « Mainland« , la République populaire de Chine – est au cœur d’une intense lutte de pouvoir entre les partisans de la démocratie et de l’exception hong-kongaise, dont le cardinal Zen, et ceux qui prônent son rattachement progressif au continent depuis 2014, démographiquement de plus en plus nombreux.
Un pas important, dans cet affrontement, fut l’adoption par l’exécutif hong-kongais, le 30 juin 2020, d’une loi sur la sécurité nationale. Cette législation, imposée par Pékin, ouvrait la porte à une répression des mouvements pro-démocratie, une tendance qui s’est vérifiée depuis. L’arrestation du cardinal Zen n’étant que la dernière d’une longue liste d’emprisonnements, dont le plus retentissant fut celui de Jimmy Lai, propriétaire du journal anti-Pékin Apple Daily (fermé par les autorités en 2021) et grand soutien financier du cardinal Zen.
Dans le cas de cette arrestation, comme à plusieurs reprises ces dernières années, la pusillanimité de l’Église catholique face à Pékin sur la question hong-kongaise a été pointée du doigt par plusieurs militants hong-kongais. Il faut d’ailleurs noter que l’actuel chef de l’exécutif hong-kongais, Carrie Lam, et son successeur John Lee Ka-chiu, élu ce 8 mai sans candidat face à lui, sont tous deux catholiques romains.
L' Ostpolitik du Vatican
Le Saint-Siège est pointé du doigt pour son « Ostpolitik » depuis le début du pontificat de François. Une politique qui est notamment incarnée par son secrétaire d’État le cardinal Pietro Parolin, disciple affiché du cardinal Casaroli. Ce rapprochement du Vatican avec la Chine communiste – qui s’opère sur des bases similaires à celles adoptées ces dernières années avec le Vietnam – est perçue par le cardinal Zen comme un affaiblissement du soutien du Saint-Siège aux opposants à Pékin, notamment à Taïwan et Hong Kong, mais aussi à ceux de l’« Église souterraine », frange clandestine et historiquement martyre de l’Église catholique qui s’oppose à l’Église patriotique, cornaquée par le Parti communiste.
La signature en 2018 d’accords pastoraux – dont les termes restent encore aujourd’hui secrets – entre le gouvernement de Xi Jinping et le Saint-Siège sur la nomination des évêques avait provoqué la fureur du haut prélat hong-kongais, qui a vécu ce rapprochement comme une « trahison » et une « compromission ». Il avait attaqué à plusieurs reprises le cardinal Parolin dans la presse, l’accusant même de mentir, et avait tenté, sans succès, de plaider sa cause auprès du pape.
Hong Kong joue un rôle clé pour le Saint-Siège, qui y a installé sa « base » diplomatique pour discuter discrètement avec Pékin. C’est notamment par cette antenne discrète que des hackers chinois auraient d’ailleurs réussi à mener une cyberattaque sur le système interne du Vatican pendant l’été 2020, une information confirmée à Aleteia par un diplomate.
De nombreux soutiens pour le cardinal
Son arrestation pose un problème de taille au Saint-Siège, qui se doit de défendre les droits du haut prélat, membre du collège cardinalice. De plus, le cardinal Zen dispose de nombreux soutiens aux États-Unis, où la question de la liberté religieuse est un des axes historiques d’opposition à la montée en puissance du rival chinois – chez les démocrates comme chez les républicains. Ses liens avec les États-Unis sont d’ores et déjà pointés du doigt par les partisans du régime communiste comme une preuve de sa compromission.
Dans le même temps, le Saint-Siège devrait tenter de ne pas compromettre les quelques avancées effectuées depuis quatre ans – qui ont permis la nomination de treize évêques, dont seulement six après la signature de l’accord entre le Vatican et la Chine. Et ce d’autant plus que cet accord doit être renouvelé par les deux parties en octobre prochain, et que le Saint-Siège a fait savoir qu’il souhaitait signer un accord « définitif ».
Contactés par Aleteia, deux diplomates accrédités près le Saint-Siège ont comparé la situation en Chine avec celle face à laquelle se trouve le Saint-Siège en Ukraine, bloqué entre les catholiques ukrainiens et son désir de rapprochement avec l’orthodoxie russe. Un rapprochement que semble avoir aussi fait le cardinal Zen : ces dernières semaines il avait publié de nombreux articles sur l’actualité ukrainienne dans lesquels la politique de non-condamnation de la Russie par le Saint-Siège était remise en question.
Une erreur de la Chine ?
Réagissant à l’arrestation, le sinologue italien Francesco Cisci a pour sa part considéré qu’il s’agissait d’une grande erreur commise par Pékin : « il n’était peut-être pas le plus sage d’arrêter un homme de 90 ans qui, quel que soit son état, ne peut pas être trop dangereux et qui ne le devient qu’après cette arrestation ». Selon lui, le gouvernement chinois risque d’enflammer encore plus la situation à Hong Kong après cette arrestation, ce qui placerait le Saint-Siège – seule entité à même de persévérer dans le dialogue en toutes circonstances – dans une position favorable pour reprendre les discussions.
Un signe, quelques heures après l’arrestation, pourrait aller dans le sens de cette analyse : l’insistance du gouvernement hong-kongais sur le fait que l’arrestation du cardinal Zen était « complètement sans rapport avec la profession ou l’origine religieuse des personnes arrêtées ». À sa sortie du poste de police de Chai Wan Station ce 11 avril, le cardinal Zen n’a pas prononcé un mot devant la nuée de journalistes. Désormais, la parole de celui qui, lors du consistoire en 2006 lors duquel il avait été créé cardinal, avait été exhorté à donner son « sang pour l’accroissement de la foi chrétienne » pourrait avoir un véritable impact dans les semaines à venir, et ce bien au-delà de la baie de Hong Kong.