C'est à travers des tonnes de tôles broyées, des carcasses de voitures pulvérisées et des montagnes de gravats qu'il faut passer pour atteindre le point zéro. À côté des immenses silos, cathédrales de béton éclatées, l'eau s'est désormais invitée. L'explosion des hangars dans lesquels était stocké le nitrate d'ammonium a provoqué un immense trou que la mer a comblé. "Nous avions vu des photos, des images de l'explosion... Mais il fallait venir voir de nos yeux l'étendue du drame qui a frappé les habitants de la ville", confie Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims.
Aux alentours, c'est un panorama de fin du monde qui s'offre à la délégation d'évêques venue du 8 au 12 mai rencontrer les autorités catholiques du pays et visiter des projets de reconstruction. Au loin s'étend la ville de Beyrouth dont les gratte-ciel portent encore les stigmates du désastre. Des vitres brisées, des façades défigurées. "C'est sur le lieu de la manifestation du mal que nous venons aujourd'hui, pour prier pour tous ceux qui sont morts, les blessés, et ceux qui porteront à jamais le traumatisme de l'explosion", poursuit le président de la CEF.
Une vierge de Lourdes
Sur le sol on dépose la Vierge de Lourdes. Deux jeunes chrétiens libanais entonnent un chant dont les notes viennent habiter ce lieu de malheur. Le 4 août 2020, plus de 220 personnes ont perdu la vie dans la catastrophe et des dizaines de milliers d'appartements ont été ravagés. Sur un rayon de 8 kilomètres, les vitres ont volé en éclats. "D'ordinaire, à Lourdes, le peuple chrétien vient avec toutes ses misères, toutes ses blessures... La Vierge est là aujourd'hui pour porter avec l'Église la souffrance de ce peuple", confie Mgr Brouwet, évêque de Nîmes et ancien évêque de Tarbes et Lourdes.
Autour de la statue de Notre-Dame, le chant des psaumes priés par les évêques français est parfois étouffé par le bruit des tractopelles. Les engins finissent de démonter les squelettes métalliques d'immenses bateaux projetés hors de l'eau par la déflagration. "Il y a un an, raconte le prêtre maronite Hanni Tawk, après une messe célébrée sur le port avec les familles des victimes, une dame est venue ici se mettre à genoux, devant le silo, son 'Golgotha'. Elle venait prier son mari décédé'. Là, devant ce 'trou de misère' recouvert par les eaux, la veuve disait croire à la résurrection du Liban.
Une visite vécue comme un signe d'espérance
Revivre. A quelques centaines de mètres du port se joue chaque jour ce que le Père Hanni appelle 'le miracle quotidien'. Passé le choc de l’explosion, lui et son épouse ont pris l'initiative d'organiser un point de distribution de repas pour ceux qui venaient de tout perdre. La 'Cuisine de Marie' était née. 'Nous avons commencé modestement par quelques repas... Aujourd'hui, nous nourrissons chaque jour entre 700 et 800 personnes', raconte-t-il aux évêques français, muni de sa toque et de son tablier. Dans cet ancien entrepôt délabré, une fourmilière de bénévoles s'activent. 'Qu'il soit musulman, chrétien, druze, voilé, avec un décolleté, jaune, noir... Ici, chacun est accueilli et prend ce dont il a besoin', explique le prêtre maronite.
"C'est un lieu de joie et de fête qui se trouve à quelques centaines de mètres d'un lieu de mort et de larmes", observe Mgr Gollnisch, directeur général de l’Oeuvre d’Orient, association très active au Liban. La visite des évêques français dans le pays s'inscrit pour lui comme "un acte sacerdotal" portant la souffrance des habitants de ce pays à Dieu. "L'Église est aussi un corps et quand un de ses membres souffre, tout l'ensemble souffre avec lui. Nous venons aussi pour signifier cette dimension, partager les souffrances d'un peuple et l’espérance de la résurrection", abonde-t-il.
Une visite des évêques pensée il y a trois ans
Durant trois jours, la délégation composée aussi de Mgr Lalanne, évêque de Pontoise, Mgr Gémayel, éparque de Notre-Dame du Liban de Paris des maronites de France, du Père de Woillemont, Secrétaire général de la Cef et du Père Mouterde, secrétaire général adjoint de la CEF, rencontre les patriarches maronite, melkite, syriaque et arménien, ainsi que les évêques représentant les Églises chaldéenne et latine.
"Cette idée de rendre visite aux chrétiens libanais a germé en 2019. Nous prévoyions à l'époque d'envoyer en même temps des évêques français en Irak, au Liban et en Égypte pour montrer notre lien avec les chrétiens d'Orient", raconte Mgr Éric de Moulins-Beaufort. Finalement, la pandémie de Covid-19 et l'explosion du port de Beyrouth ont bousculé le projet initial. C'est désormais un Liban à l'agonie que rencontrent les évêques.