Le chant des cigales, voilà le théâtre privilégié de l’œuvre de Marcel Pagnol. Dans les collines à perte de vue du Garlaban, non loin de Marseille où il vit avec sa famille, le petit Marcel expérimente les premiers sentiments qui font les futures lois d’une vie d’homme. On retrouve dans ce film l’atmosphère de La Gloire de mon père et du Château de ma mère, les deux premiers tomes de ses souvenirs d’enfance déjà adaptés à l’écran en 1990. La photographie respecte la colorimétrie dûe aux histoires intemporelles et familières, c’est-à-dire d’un ton vif et réaliste.
Christophe Barratier donne souvent leur chance à l’enfance et aux beaux sentiments dans sa filmographie. À l'époque, le film Les Choristes avait enchanté une bonne partie des Français, qui sont toujours sensibles aux saines choses. S’agissant de cette œuvre, certains passages sont déjà connus puisqu’ils ont été intégrés au film Le château de ma mère (1990). Et l’on retrouve heureusement l’oncle Jules (François-Xavier Demaison, excellent dans son rôle) et tante Rose (Anne Charrier), venus en vacances chez Joseph Pagnol (Guillaume de Tonquédec) et Augustine (Mélanie Doutey), le temps de se faire des souvenirs.
La meilleure façon de devenir un homme
L’on sait l’immense admiration que le futur cinéaste et écrivain a toujours éprouvée pour son père, lui qui savait si bien chasser la bartavelle et se montrer digne des valeurs de la République, en athée convaincu. Marcel navigue donc entre son besoin de devenir lui-même et la transmission paternelle. Avec Lili des Bellons, son ami des montagnes, il parcourt les sentiers pour apposer des pièges, découvrir plus avant la nature, surmonter les dangers, apprendre, en somme, à devenir un homme. L’arrivée d’Isabelle Cassignol, prétendue fille d’un grand poète habitant Marseille, perturbe alors le plan des vacances. Marcel en tombe vite amoureux après qu’elle lui fait passer toutes sortes d’épreuves plus ou moins amusantes et intelligentes, afin de voir s’il mérite son amour.
Peu à peu, il passe tout son temps libre avec elle, dans la propriété fantasque de sa famille. L'œil de son jeune frère Paul, très attachant, sur cette histoire est assez amusant et plein de vérité. Bientôt, toute sa famille est mise au courant, et l’oncle Jules ne manque pas d’y aller de son humour pour réveiller Marcel sur ce qu’il subit réellement. Se mêle à cette intrigue l’étrange histoire d’une caverne dans laquelle se trouverait un homme transformé en bête, laquelle les deux amis cherchent à capturer en guise d’exploit à accomplir ; ainsi qu’une vague histoire d'infidélité de la part de Joseph. Ce qui est intéressant dans cet exemple de vacances familiales est à la fois la liberté laissée par les parents et l’exigence maintenue pour le bien de l’enfant. Un équilibre parfois difficile à trouver qui trouve sa justesse grâce à la complémentarité des parents, Joseph et Augustine. Au sein de cette liberté, le pardon et la confiance sont enseignés par l’exemple. Ce qui donne envie à Marcel d’être dans l’obéissance.
Le dilemme des jardins secrets
Le jeune Marcel manque de perdre son ami Lili, à force de lui avoir fait faux bond. Mais c’est le moment pour lui d’intégrer la 6ème à la fin des vacances. Il doit faire ses preuves en tant qu’élève et camarade de classe, perturbé par sa recherche éperdue d’Isabelle dans Marseille. Une quête vaine dont il découvre la raison aux vacances suivantes. Entre les illusions et le réel, les palabres d’une jeune fille et le bon sens d’un garçon des montagnes, Marcel tangue et cherche son chemin. L’amitié en lutte avec l’amour d’un côté, la question de la fidélité ou de la vérité du côté de ses parents font des jardins secrets un lieu complexe, à la fois nécessaire et troublant. L’équilibre entre la fidélité à soi-même et aux autres est toujours compliqué par la liberté irréductible de chacun. Augustine cache deux secrets, dont l’un est son intérêt pour la cause féministe, lequel Joseph découvre et finit par respecter, par amour pour elle et pour sa liberté.
“Qu’y a-t-il qui n’est plus, sinon l’enfance?”, s’interrogeait le poète Saint-John Perse. Façon de dire que c’est elle que l’on recherche éternellement, dans son merveilleux et dans son innocence, comme la personnification d’un monde à soi sans cesse à protéger, et peut-être à renouveler. Le film ne creuse évidemment pas en ce sens, mais l'œuvre de Pagnol ne peut se départir de ce temps de l’enfance et de tout ce qu’il symbolise. Il s’ouvre d’ailleurs sur un Marcel âgé, revenant sur les traces de son passé. Le lieu des secrets est aussi celui du devenir, il ramène à l’urgence, à sa singularité, à sa capacité d’être ébranlé, aussi. Il est tout cela au milieu de la vie. Christophe Barratier le met en scène avec un grand respect de l’univers de l’auteur, n’oubliant ni l’humour ni la fraîcheur des personnages, tout en simplicité.
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