Cher saint Joseph,
Voilà que l’aventure égyptienne débute. Comme vacances familiales détendues et organisées, on a fait mieux. Ça ressemble davantage à une mission James Bond - mais avec une famille, ce qui ne saurait arriver à notre espion. "Joseph, votre mission, si vous l’acceptez : fuir, ruser et vous planquer pour assurer une protection au Verbe fait chair. De la réussite ou non de votre action dépend le salut de l’humanité (et là, c’est pas un film, c’est pour de vrai !)"
Décidément, ce Bon Dieu ne te ménage pas. Et te fait confiance. Premières années de mariage mouvementées et sympathiques. En disant cela, je pense à beaucoup d’ami(e)s. Bien sûr, ils n’affrontent pas les mêmes réjouissantes embûches, mais tout de même, leurs débuts sont parfois un joyeux parcours du combattant. J’espère pour eux qu’ils s’inspirent de toi.
Joseph, as-tu pensé alors à Joseph, fils de Jacob ? Impossible que tu n’aies pas médité sur les chemins par lesquels le Seigneur l’avait mené en Égypte. Es-tu tombé dans le piège d’imaginer la même destinée ou t’es-tu gardé de cette illusion de croire que Dieu réapplique ses plans ? As-tu demandé de l'aide à ce frère aîné dans la foi, si précieux à Israël ? "Mais cessons de penser, vivons ! Pour l’instant, l’Égypte, mon Égypte, ma femme et mon fils !"
Et d’abord, quel chemin prendre ? Quel itinéraire ? Le plus rapide car le plus court ? C’est-à-dire Hébron. Quatre cinq jours de marche pour atteindre la frontière, le Torrent d’Egypte. Disons cinq avec une femme qui sort d’accouchement et un bébé comme fuyards. Comme tu as dû souffrir d’ailleurs de ton impuissance. À ce moment-là comme en tant d’autres. Ta mission est de nourrir Marie qui nourrit Jésus. Mais vous fuyez ! Et puis hydrater Marie aussi ! Vous seuls connaissez la forme que prit la Providence pour vous à ce moment-là, mais nul doute que cela a dû te marquer profondément. Ces quelques jours de fuite en avant, obéissant à ton songe (d’un Dieu qui veut sauver) et au réel (d’un fou qui veut tuer) furent tout de même votre fête familiale de la naissance, ne l’oublions pas. Comme tu as béni le Ciel des aides envoyées, des mains tendues, de l’eau trouvée ou offerte. Dieu ne t’abandonnait pas.
Commencent alors ces quelques années de planque. D’abord, la fuite. Gagner l’Égypte à marche forcée, traqués. Ensuite, la planque. Une famille juive parmi les égyptiens, ça aurait fait tache. Donc tu as sans doute dû rejoindre la diaspora. Quoi de mieux pour cacher une famille juive que de vous fondre au milieu d’autres juifs ? Aucun problème pour eux que vous fuyiez Hérode. Guère apprécié, le tyran. Cet horrible massacre de dizaines de bébés n’est pas son (mé)fait d’arme le plus ignoble. Ce roi fantoche, qui ne descend pas de David et n’est même pas juif ! "Les ennemis de ce triste sire sont nos amis, shalom mon frère ! Ta femme et ton bébé sont en sécurité parmi nous. C’est pour nous une joie d’accueillir cette petite victoire emmaillotée, une vie juive arrachée aux sbires de cet Hérode. Votre enfant ira loin !"
Et puis, un charpentier, c’est toujours utile. Tu as donc déniché travail, trouvé toit et bâti famille. Le tout dans un pays étranger. Étonnant d’ailleurs de se dire que les premiers pas sur Terre de Notre Sauveur furent ceux d’un immigré politique. Tu me diras, vous avez gagné du temps dans l’apprentissage parfois laborieux de la gestion des belles-familles. Quelle place leur donner ? Aucune dans votre cas, puisqu’elles ne sont pas là. Toutefois, le coup de main donné par le grand-père, vous avez bien dû le recevoir de quelques frères de colonie.
Quelle confiance en Dieu que la tienne ! Tu me diras, tu avais Marie sous la main.
Quand je pense à ces débuts égyptiens, j’imagine aussi tes interrogations, bon saint Joseph. Dieu te demande de prendre chez toi Marie, car l’enfant qu’elle porte est le Sauveur, le Messie attendu par Israël. Mais voilà qu’il naît dans une étable où il attire bergers et mages (comme quoi, les pauvres et bourgeois auprès du Christ, ça date pas d’hier). Puis, ce Messie nourrisson a besoin de protection et il faut quitter Israël. Quitter Israël, le Messie ! V’là donc que ses premiers pas se font sur terre égyptienne, ses premiers mots sont ceux d’un gamin réfugié. J'aurais imaginé quelque chose d’assez différent si un ange m’avait demandé d‘être le père du Messie. Mais tu as fait le deuil d’imaginer, tu as choisi de vivre ! Abandonné à Dieu, et parfois abandonné de Dieu, tu t’occupes de Son Fils, ton fils et ton Sauveur.
Quelle confiance en Dieu que la tienne ! Tu me diras, tu avais Marie sous la main. Nous aussi, ceci-dit, avec le chapelet. Perdu en terre étrangère avec un enfant recherché, tu vivais au milieu du risque, avec un enjeu de taille. Il n’y avait ni école, ni pôle emploi, ni assurance, ni prêt, ni aides sociales, ni rien. Cet épurement comporte quelque chose de bon : impossible de fuir tes responsabilités. Cet enfant-Dieu t’est confié à toi, Joseph. Tu es responsable. Et moi donc ! l’enjeu n’est pas le même, bien sûr, mais de fait, je suis responsable de certaines personnes et réalités. J’imagine alors ta confiance en Dieu, en toi et aux autres. Et en ta femme, car tu as vécu ça avec Marie. Ma foi, cela n’a pas trop mal réussi à ton fils.
Bien à toi,
Joseph