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Comment les jésuites se mobilisent pour accueillir 1,4 million de réfugiés ukrainiens en Pologne

POLAND
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Anna Kurian - publié le 10/03/22
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Coordinateur du Service jésuite des réfugiés (JRS) en Pologne, le père Vitaliy Osmolovskyy raconte comment le peuple polonais fait face à l’afflux de quelque 1,4 million de réfugiés ukrainiens. "Depuis le premier jour de la guerre, nos paroisses reçoivent des personnes toute la journée, et les orientent", explique-t-il. "Toutes nos communautés de Pologne sont impliquées."

"Je ne vois pas d’autre pays qui a reçu plus d’un million de réfugiés en douze jours", glisse le père Vitaliy Osmolovskyy, coordinateur du Service jésuite des réfugiés (JRS) des deux provinces polonaises de la Compagnie de Jésus. Il raconte comment le peuple polonais fait face à l’afflux de réfugiés – 1,4 million d’après les chiffres rapportés par l’AFP le 10 mars 2022 –, soulignant la nécessité d’agir dès à présent pour la réconciliation entre Ukrainiens et Russes.

Originaire d’Ukraine, le jésuite préparait une thèse à l’Université de Santa Clara en Californie. Mais lorsque le conflit a éclaté, ses supérieurs l’ont rappelé en Pologne pour ses compétences linguistiques – il parle le russe, l’ukrainien, le polonais, l’italien, l’anglais – et pour son expérience dans l’aide humanitaire. Depuis l’invasion russe, il navigue entre Cracovie, Varsovie, Dantzig et les villes de frontière, coordonnant le secours d’urgence, mais aussi planifiant une aide à plus long terme. Ses parents, eux, ont choisi de rester en Ukraine, dans une ville militaire proche de Kiev. 

Comment le peuple polonais réagit-il face à l’afflux de familles ukrainiennes ?
Père Vitaliy Osmolovskyy :
Il y a une très grande générosité du côté de la Pologne. C’est un phénomène vraiment important, je ne vois pas d’autre pays qui a reçu plus d’un million de réfugiés en douze jours. Le peuple polonais est incroyable. Les habitants accueillent toutes ces personnes et essayent de leur fournir un toit, de la nourriture. Beaucoup de Polonais propriétaires d’appartements qu’ils louaient, ont décidé de les mettre gratuitement à disposition des réfugiés.

Depuis le premier jour de la guerre, nos paroisses reçoivent des personnes toute la journée, et les orientent. Toutes nos communautés de Pologne sont impliquées.

Mais nous voyons aussi que la situation empire, le nombre de nouveaux arrivants s’accroit dans certaines villes. Si cela continue, dans une ou deux semaines cela sera trop lourd… C’est pourquoi nous essayons de rediriger des personnes vers d’autres pays, comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la France, la Croatie. 

Quelle est l’action du Service jésuite des réfugiés dans ce contexte ?
Depuis le premier jour de la guerre, nos paroisses reçoivent des personnes toute la journée, et les orientent. Toutes nos communautés de Pologne sont impliquées. Notre priorité est d’aider les communautés ukrainiennes par l’intermédiaire du JRS présent à Lviv. Ici en Pologne, notre équipe d’organisation compte cinq personnes, soutenues par de nombreux volontaires et par les réseaux jésuites du monde. Nous avons aussi un bus qui apporte des fournitures en Ukraine une ou deux fois par semaine, et qui ramène en Pologne des personnes réfugiées. Nous préparons des fonds avec des ONG pour des produits alimentaires et hygiéniques, pour une assistance médicale, un soutien psychologique.

Comment les familles ukrainiennes vivent-elles ce drame ?
L’un des moments les plus difficiles de notre travail, c’est de voir les hommes qui emmènent leurs familles à la frontière et qui les laissent là. Ils se disent ce qui est peut-être leur dernier au-revoir. Puis les hommes retournent sur le front en Ukraine, pour se battre, pour protéger leurs foyers. Beaucoup de personnes portent des tragédies, spécialement celles qui viennent de la partie orientale de l’Ukraine, où ont lieu les conflits les plus violents. Elles ont dû quitter leurs maisons alors que c’est l’hiver – il fait très froid ici – et elles sont parties seulement avec ce qu’elles pouvaient prendre. 

De nombreuses personnes de la génération de la Seconde guerre mondiale ont transmis quelque chose de leur traumatisme.

De nombreuses personnes de la génération de la Seconde guerre mondiale, comme mes grands-parents qui ont connu les camps de concentration en Allemagne, ont transmis quelque chose de leur traumatisme. Et la jeune génération va vivre à nouveau des troubles post-traumatiques. Elle est déjà marquée psychologiquement par cette guerre.

Comment comptez-vous déployer votre action à moyen terme ?
Il y a d’abord toute la partie humanitaire. Il s’agit par exemple d’assurer la santé des plus vulnérables. Nous avons reçu récemment un groupe de mères dont les enfants sont atteints de cancers. Nous essayons de leur trouver un lieu de vie et de leur assurer un accompagnement. Sans oublier l’éducation : nous avons des projets de bourses pour les enfants des familles qui décideront de rester ici. 

Il faut aussi s’occuper d’ores et déjà de la réconciliation.

Mais il faut aussi s’occuper d’ores et déjà de la réconciliation. Je pense à la vague de réfugiés qui commence à quitter la Russie pour rejoindre l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Georgie et la Turquie. Que va-t-il se passer lorsque les réfugiés ukrainiens rencontreront des réfugiés russes, sur un territoire neutre ? En tant que jésuites, nous devons déjà nous y préparer, penser à créer un espace sécurisé, où les personnes pourront parler, partager, et participer à la réconciliation. Entre l’Ukraine et la Russie, il y a un grand nombre de mariages mixtes, et je sais déjà que certains couples se sont séparés à cause de ces événements. C’est un grand problème. 

Quelle est votre approche pour la réconciliation ?
Dans l’accueil des Ukrainiens, nous collaborons avec le gouvernement, avec des ONG, avec des organismes religieux de diverses appartenances, et même des mormons. Cela montre que l’humanité, les valeurs humaines, nous unissent. Et je pense que nous devons nous concentrer sur ce qui nous unit plutôt que sur ce qui nous divise. Peu importe les préférences politiques ou la religion, concentrons-nous sur notre humanité et sur l’aide à apporter à ceux qui en ont besoin. 

Le pape François vient d’envoyer deux cardinaux – Konrad Krajewsky et Michael Czerny – pour soutenir le peuple ukrainien dans la région. Allez-vous les rencontrer ?
Ce n’est pas prévu pour le moment. Je peux dire que le cardinal Czerny, qui est jésuite, sait ce que signifie une invasion soviétique. Il en vécue une dans son pays d’origine, la Tchécoslovaquie. Il sait ce que signifie souffrir, perdre tous ses biens en une minute. Il est un vrai témoin de la souffrance humaine dans le monde. Du côté de la Compagnie de Jésus, l’Assistant du père Général pour l’Europe centrale et orientale, le père Tomasz Kot, va venir en Pologne dans les prochains jours, pour nous soutenir et pour partager des informations. 

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