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Le désir peut-il faire loi?

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Pierre Vivarès - publié le 06/03/22
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L’homme est un être de désir, rappelle le père Pierre Vivarès, curé de la paroisse Saint-Paul de Paris. Mais comment réconcilier cette génération qui fait de la "loi du désir" la norme de tout et la spiritualité chrétienne fondée sur le désir d’amour et de vérité ?

En 1986, Pedro Almodovar réalisait La Loi du Désir, un des premiers films traitant ouvertement de la communauté LGBT en Espagne. Ce génial cinéaste, explorant les méandres de l’identité, de la rédemption, de l’amour et du désir tout au long de ses films, mettait en scène l’histoire de trois hommes, laquelle se finit par un meurtre. Trente-six ans plus tard ce titre pourrait être le qualificatif de la génération actuelle dans nos sociétés occidentales : seul le désir fait loi. Récemment, sur les chaînes publiques qui sont devenues des organismes de propagande, une fiction suivi d’un débat traitait de la GPA et la journaliste posait cette question sous forme d’évidence : « Que peut-on opposer au désir ? » Contrairement à ce que l’on pourrait croire, nous ne sommes pas dans une période de relativisme : nous sommes bien dans l’absolutisme du désir individuel, l’absolutisme du « JE ». Face à cela, un nouveau siècle des Lumières est nécessaire pour « écraser l’infâme ». 

L’homme est un être de désir

Notre nature humaine est pétrie de désir. L’homme est un être de désir et quand je dis désir, je ne parle pas de convoitise au sens péjoratif. Désir de vivre, désir de connaître, désir d’aimer, désir du beau, du bien, du vrai, désir d’être aimé, désir de travailler, désir de repos, de fête, de partage, désir de Dieu… Tous ces désirs sont justes et bons, ils nous constituent, nous construisent et nous animent. La morale chrétienne n’est pas une morale de l’ablation du désir comme certaines philosophies antiques ou orientales l’enseignent et qui consisterait à ne rien désirer pour être libre de toute attache et donc heureux. Le christianisme ne veut pas enlever les désirs de l’homme et d’ailleurs une des plus belles phrases de l’Évangile n’est-elle pas : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! » (Lc 22, 15) Le Christ lui-même est un être de désir et le dit ouvertement à ses disciples. Alors comment réconcilier cette génération qui met son désir comme norme de tout et notre spiritualité fondée sur des désirs légitimes ? À quel moment passe-t-on du désir au caprice, du désir à l’aveuglement ? 

Ne pas confondre la convoitise et le désir

Peut-être devons-nous confesser que nous avons longtemps enseigné une morale qui faisait du désir la source du péché. Nous avons été marqués par une sorte de stoïcisme qui visait à se méfier a priori de tout mouvement du corps et de l’âme de peur que celui-ci ne nous conduise à commettre le mal. Il était sûr que cette négation de notre nature profonde ne pouvait entraîner qu’un rejet du message et de la morale en entier. Il ne faut pas confondre la convoitise et le désir. Saint Jacques écrit : « Chacun est tenté par sa propre convoitise qui l’entraîne et le séduit. Puis la convoitise conçoit et enfante le péché, et le péché, arrivé à son terme, engendre la mort » (Jc 1, 14). La meilleure solution serait peut-être de questionner nos désirs. Que désirons-nous, profondément, au-delà des désirs quotidiens au service de la conversation de notre être et des jouissances communes ? Comme nous sommes dans une époque d’anémie métaphysique, le fascisme du désir individuel à satisfaire pour se sentir vivant a annihilé la question de la vérité et de sa recherche, et parfois même le simple caprice immédiat a remplacé le désir. 

Cependant en questionnant lucidement notre cœur nous pouvons discerner ce que nous désirons par-dessus tout et nous trouverons le désir d’une quête de valeurs absolues : la vérité, le bien, le beau, la vie, l’amour. Pour y accéder, une ascèse est nécessaire. L’artiste cent fois sur le métier remet son ouvrage, le sage questionne honnêtement le réel pour discerner ce qui est vrai et ne pas se laisser entraîner par des conclusions simplistes, l’honnête homme se remet en cause dans ses paroles et ses actes pour voir si elles conduisent au bien. Cette ascèse nécessite des lois que l’on s’applique à soi-même, quelle que soit la quête entreprise. On passe ainsi de la loi du désir au désir de la loi, non pas la loi pour elle-même mais comme chemin pour accéder à la réalisation de nos désirs les plus profonds et donc devenir ce que nous aspirons à être. 

Une ascèse sociétale

Mais même si loyalement chaque personne fait ce chemin et s’applique à elle-même ce désir de la loi, nous arriverons socialement à une pluralité de pensées, de convictions, de styles de vie et de désirs. Comment faire pour que cette pluralité d’options de vie ne tourne pas à la bataille rangée dans une société multiculturelle ? La même réponse peut être apportée : que désirons-nous vraiment pour notre société ? Que celui qui parle le plus fort gagne ? Que celui qui maîtrise les médias impose son point de vue aux autres ? Que le groupe le plus violent ou menaçant fasse taire les autres ? Le caprice du « Je » individuel peut devenir le caprice d’un « Je » collectif, communautariste, séparatiste ou violent. La pluralité sociale impose la mise en place d’un pluralisme dans lequel chacun a le droit de vivre et d’être respecté en vivant un dialogue serein avec ceux qui pensent différemment sans que sa parole soit disqualifiée, moquée, rejetée ou déclarée inaudible. Cette ascèse sociétale ne sera pas possible si l’on ne vit pas d’abord une ascèse individuelle. C’est aussi le sens du carême qui vient de commencer.  

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