Le catholicisme a eu du mal à accepter la modernité et ce ne fut qu’au prix d’un long combat que l’immense majorité des catholiques se sentirent de plain-pied avec le monde moderne. J’entends par modernité l’héritage du siècle des Lumières prenant sa source dans la Renaissance avec la proclamation des Droits de l’homme, la liberté de conscience, la démocratie, l’autonomie et la valorisation de la science jusqu’à l’acceptation de la recherche scientifique pour les domaines de la foi (archéologie, critique linguistique et textuelle, paléographie.)
Le concile Vatican II fut l’achèvement de cette tension, voire parfois de ce combat, entre les tenants de l’acceptation et ceux qui dénonçaient le relativisme, sur fond de querelle sur la question romaine, la démocratie et le modernisme. Paradoxalement, après ces deux siècles d’hésitation, le Concile pourrait déjà paraître dépassé aujourd’hui par la vague de négation actuelle sur des questions fondamentales ayant trait à la définition de l’homme et du réel par la foi catholique. Comme si le catholicisme était condamné à toujours avoir un métro de retard sur l’Histoire et ne se situe qu’en force réactionnaire, en opposition face aux « avancées » sociétales, en institution qui ne peut comprendre ce qu’il se passe vraiment que deux siècles plus tard. Certains disent qu’il est nécessaire de rester campés sur nos positions originelles puisque l’on aura toujours ce retard, d’autres qu’il faut courir après la néo-modernité comme de nombreuses communautés protestantes le font et donc se mettre en permanence au diapason de la société sur toutes ses revendications.
En fait, beaucoup craignent inconsciemment que le catholicisme ne redevienne un système cohérent, une chrétienté, avec tout ce que cela charrie de nostalgie négative...
Beaucoup attendrait du catholicisme contemporain qu’il se déclare en faveur de la liberté sexuelle et de la fécondité sous toutes ses formes, pour la liberté de genre, pour l’égalité des hommes et des femmes dans l’accession au ordres sacrés, qu’il autorise évidemment le mariage des prêtres diocésains et ne disent plus rien sur l’avortement, l’euthanasie ou les manipulations génétiques diverses. On attendrait en fait de lui qu’il ne dise plus rien sur rien et que, dans son fonctionnement quotidien et visible, il soit comme tout le monde : le vecteur d’un égalitarisme libertaire dans lequel l’unique loi serait la loi du désir individuel.
Le catholicisme n’est pas un système
Éventuellement, on lui reconnaîtra une fonction sociale dans le soin des plus pauvres ou un rôle de médiation diplomatique ici ou là sur la planète, mais s’il pouvait enfin devenir simplement une grosse ONG caritative, ce serait parfait. En fait, beaucoup craignent inconsciemment que le catholicisme ne redevienne un système cohérent, une chrétienté, avec tout ce que cela charrie de nostalgie négative (absolutisme royal, inquisition, conversions forcées, colonialisme, rejet de la liberté individuelle et de la démocratie). Le rejet du catholicisme est une peur archaïque du mépris des libertés individuelles et collectives alors que paradoxalement le christianisme est né au cours de persécutions contre la liberté de culte et de conscience individuelle et collective des premiers chrétiens.
Or le catholicisme n’est pas un système politique, économique ou social et n’en n’épouse aucun. L’Évangile ne promeut aucune forme de gouvernement, aucune gestion économique particulière, aucune organisation de la société. Ce sont des non-sujets dans l’Évangile. L’Église a mis en garde contre des systèmes intrinsèquement pervers, le nazisme ou le communisme par exemple, mais ne déclare pas que telle ou telle forme de gouvernement est la meilleure. En matière économique, l’Église a affirmé le droit de propriété personnelle contre le communisme mais dénonce tout autant le capitalisme sauvage qui exploite les plus pauvres. On pourrait allonger la liste de ces positions qui mettent en garde sur certaines formes d’écologie, d’économie, de politique ou de recherche scientifique dans lesquelles l’homme se retrouve exploité, marchandé, tué ou manipulé.
Nous n’avons pas à être une force d’influence, à « peser » sur les débats, à ménager la chèvre et le chou en voulant jouer au billard à trois bandes en pensant être plus malins que les autres.
Cependant nos contemporains charrient dans leur esprit un kulturkampf contre l’Église au nom de l’esprit des Lumières et la virulence affichée de certains contre le catholicisme relève d’un fantasme plus que du danger réel que représenteraient les 2% de catholiques pratiquants français. Si l’on prend conscience que l’on ne revendique aucune forme particulière de pouvoir et que le fond de notre message est une annonce de qui est l’Homme et de qui est Dieu, nous serons alors capables d’être libres : libres de parler quand nous en avons envie sans avoir peur de nous faire excommunier par la bien-pensance contemporaine, libres de discerner dans le monde où nous sommes ce qui peut être pris et ce qui doit être laissé de la recherche et des découvertes des penseurs de notre temps.
Écoute qui voudra !
Notre parole est ressentie comme une volonté de prendre le pouvoir et contraindre ceux qui ne penseraient pas comme nous : nous n’avons pas à être une force d’influence, à « peser » sur les débats, à ménager la chèvre et le chou en voulant jouer au billard à trois bandes en pensant être plus malins que les autres. Nous avons à dire ce que nous pensons, calmement, posément, sur tous les sujets, en fonction de l’anthropologie qui est la nôtre. C’est un débat d’idées avec ceux qui ne partagent pas notre foi et la force de la vérité ne s’impose que par la vérité elle-même. Écoute qui voudra ! Les opposants au Christ dans l’Évangile, Juifs et Romains, ont voulu le faire disparaître du paysage politique et social pour avoir la paix : ils y sont parvenus… deux jours ! Ce qui manifestera la conviction intérieure qui est la nôtre sera notre paix et notre douceur dans l’annonce de Celui en qui nous croyons et de ce que nous croyons être vital pour l’homme.