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Saint Thomas d’Aquin et l’histoire du bœuf qui vole

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Anne Bernet - publié le 27/01/22 - mis à jour le 25/01/24
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Alors que l'Église célèbre le 28 janvier la mémoire de saint Thomas d'Aquin, découvrez l’anecdote savoureuse qui révéla l’humour tout autant que le génie incomparable du saint docteur à ses frères dominicains.

En 1244, ses supérieurs décidèrent d’envoyer Thomas à Cologne afin de l’y laisser parfaire ses études sous la direction du meilleur des maîtres, Albert qu’on surnommait déjà le Grand. Le jeune homme, tenu par son vœu d’obéissance, obtempéra mais il était grandement inquiet de cette distinction qui soulignait, trop à son goût, ses succès d’étudiant et une intelligence que ses maîtres avaient tôt jugée remarquable. Ce qui troublait surtout Thomas, c’était le plaisir secret qu’il prenait à ces compliments, y voyant une faute grave contre l’humilité. Au cours du voyage qui le conduisait en Rhénanie, il prit une décision héroïque : cacher ses capacités intellectuelles et ses talents à ses nouveaux professeurs et à ses condisciples. Pour cela, il garderait le silence tant que faire se pourrait, quitte à passer pour un crétin débarqué par erreur dans l’une des plus prestigieuses universités d’Europe.

Le grand bœuf muet et le jeune Thomas

Courageusement, des mois durant, il s’en tint à ce plan. Ses camarades, sujets brillants, eux aussi, ou qui se croyaient tels, s’y laissèrent prendre et ne tardèrent pas à voir en cet Italien taciturne un abruti. Thomas, il tenait cela des lointaines origines vikings de sa famille, Normands de Sicile et de Naples qui avaient quitté le Cotentin pour des terres plus douces, était un grand garçon charpenté, qui semblait fort comme un bœuf. « Le grand Bœuf  », bos magnus en latin, langue commune de ces étudiants de toutes origines, tel fut le charitable surnom dont il l’affublèrent ; puis, quelques mois plus tard, devant un mutisme qu’ils prenaient pour une démonstration de débilité mentale, ils complétèrent ce surnom et l’appelèrent bos magnus et mutus, le grand bœuf muet. Thomas le savait et ne réagissait pas, parfaitement indifférent aux plaisanteries.

« Mes frères, il m’est plus facile de croire à l’existence d’un bœuf volant qu’à celle d’un religieux menteur… ».

Ce silence, au lieu de les calmer, les poussa à renchérir dans la méchanceté. Un matin qu’ils étudiaient au scriptorium, l’un des jeunes frères, se trouvant très drôle, s’écria : « Frère Thomas, venez vite voir ! Là-haut, dans le ciel, il y a un bœuf qui vole ! » Et Thomas accourut, comme s’il avait cru à cette improbable annonce, ce qui déclencha un inextinguible fou rire parmi les autres. Alors, ouvrant pour une fois la bouche, il dit doucement : « Mes frères, il m’est plus facile de croire à l’existence d’un bœuf volant qu’à celle d’un religieux menteur… ».

Une telle évidence

La leçon porta pour l’un au moins des étudiants qui, pris de honte, décida de se racheter en venant en aide à ce camarade qui peinait si manifestement dans des études trop difficiles pour lui. Il s’offrit à lui donner des leçons particulières pour rattraper ce qu’il pensait être son lourd retard scolaire. Fidèle à son rôle, Thomas accepta et s’en montra reconnaissant, jusqu’au jour où son ami, face à une question de théologie complexe, resta incapable de la résoudre. Devant son embarras, Thomas, qui ne voyait aucune difficulté en ce problème, le résolut en une phrase, d’une telle clarté, d’une telle évidence, que l’autre se jeta à ses pieds en le conjurant de lui pardonner sa fatuité, et d’avoir voulu enseigner à celui qui devait bien plutôt l’enseigner. Incapable de garder pour lui le secret de Thomas, l’étudiant le révéla à Albert, et à tous, faisant éclater au grand jour le génie du docteur angélique.

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