« J’ai 25 ans et je suis triste car je n’ai pas de maman, pas de sœur. Je ne sais pas qui je suis. Je ne sais pas quelle est ma place dans le monde ». Malgré ce sentiment de vide, Clara ne baisse pas les bras. Une force la pousse à rebondir. C’était il y a quatre ans. Aujourd’hui Clara se reconstruit petit à petit. Elle est animatrice en Centre de Loisirs Associés à l’École (CLAE) : « Ça m’apporte tellement de travailler avec des enfants. Ils me donnent l’amour que je n’ai pas eu. Je peux aimer à mon tour ». Mais le chemin fut long de souffrance avant de trouver ce fragile équilibre.
Clara est abandonnée à 18 mois par son père, avec sa mère et sa sœur, sur une aire d’autoroute. Logée en foyer d’hébergement d’urgence, elle est ensuite placée en famille d’accueil pour se mettre à l’abri d’une mère alcoolique et violente. « Tu ne sers à rien. Tu n’es pas belle. Tu finiras dans une poubelle », lui répète-t-elle en boucle. Clara la croit. Comme il est difficile de se débarrasser de ces croyances limitantes ! Jusqu’à peu, Clara considère comme des menteuses les personnes qui lui disent qu’elle est jolie, que ses dessins sont beaux.
Les mots ne sortent pas de sa bouche. Le dessin est pendant longtemps son seul moyen d’expression, tout comme le violoncelle qu’elle apprend à jouer dans une autre famille d’accueil. Certaines familles lui font vivre l’enfer, d’autres lui offrent ce dont elle a besoin : soins, nourriture, affection. Malgré cela, Clara fait tout pour en être exclue. « L’affection dans ces familles était trop violente. Je n’y croyais pas », avoue-t-elle. Après l’échec dans ces huit familles, la solution d’être accueillie en maison d’enfants lui convient davantage. « Il n’y avait pas de schéma familial : ni papa, ni maman. On était entre filles ». Malgré un environnement violent — de nombreuses jeunes filles se battent et se scarifient —, Clara garde le silence et évite les bagarres. Elle accorde petit à petit sa confiance à une éducatrice. « Je me suis mise à parler à 15 ans». Sa scolarité est en dents de scies : collèges et lycées ne lui conviennent pas. Trop théorique, sa formation en services à la personne est abandonnée.
L’alcool pour évacuer l’angoisse
« Chaque nuit, j’ai pleuré ma mère ». Pour chasser cette angoisse et parvenir à s’endormir, Clara boit. De ce fait, elle manque d’énergie. De petits emplois pour s’occuper d’enfants à une série de contrats précaires dans un fast-food, Clara s’accroche mais chute. Expulsée de son logement pour défaut de loyer, Clara se retrouve à la rue pendant six mois, confrontée à un réseau très violent. « Étonnement, il ne m’est rien arrivé de grave : ni drogue, ni prostitution ». Quelle est donc cette force mystérieuse qui la préserve du pire ? Pour la première fois de sa vie, Clara demande de l’aide et rencontre une assistante sociale. Changement de ville, demande de logement, nouveau réseau. Il n’était pas question de se laisser à nouveau piéger. « J’avais deux chemins devant moi. Je me disais : soit je continue et je meurs ; soit je me bouge. Ces envies de rebondir ne venaient pas de moi. Je voulais continuer car je savais que quelque chose m’attendait, quelque chose de bien arriverait bientôt ».
Dans leurs yeux, je voyais la lumière et l’espoir. J’avais envie de transmettre cette lumière à d’autres.
De fait, à l’occasion d’un déjeuner dans un restaurant social, Clara rencontre les petites sœurs de l’Agneau à Toulouse. Tel le petit prince avec sa rose, les religieuses s’approchent progressivement de la jeune fille. « Nous avons fait amitié petit à petit. Nous avions apprivoisé Clara et nous nous en sentions responsables », se rappelle sœur Blandine, considérée comme sa référente. Les sœurs l’accueillent dans leur vie communautaire et fraternelle et lui proposent de rendre des petits services. Clara se sent ainsi utile et trouve sa place. Notamment avec sœur Réginald, âgée de 98 ans.
« Clara a trouvé en elle la grand-mère qu’elle n’a pas eue », ajoute sœur Blandine. La jeune fille reprend confiance en elle, en l’Homme. « Je me suis sentie sereine ici. Les sœurs m’inspiraient le bien. Dans leurs yeux, je voyais la lumière et l’espoir. J’avais envie de transmettre cette lumière à d’autres », confie-t-elle. Les religieuses l’encouragent, lui disent qu’elle a de nombreux dons, qu’elle est intelligente. « Recevoir de leur part tout cet amour a été très dur pour moi au début, je n’en avais pas l’habitude», reconnaît Clara.
Vers le baptême
Elle assiste pour la première fois de sa vie à la messe. Puis les questions fusent : « Qui est Jésus ? Et sa mère ? » Émerge alors une demande de baptême. Clara chemine avec des jeunes de la paroisse étudiante et un couple (Nicolas et Béatrice). La proximité avec leur famille réconcilie Clara avec ce schéma familial : « Dans mon cœur, ça commençait à bouger. Je constatais qu’on pouvait s’aimer entre mari et femme, entre parents et enfants ». Privée d’appartement, Clara est temporairement hébergée chez eux. Pour cette famille, l’arrivée de Clara suscite un immense élan d’amour.
« Nous ne connaissions pas le monde de la rue, de l’addiction à l’alcool. Nous ne savions rien non plus de l’histoire de Clara. Et c’est tant mieux car nous ne l’aurions peut-être pas accueillie avec autant de liberté », se souvient la mère de famille. Les époux reconnaissent qu’ils ont appris, de leurs propres enfants, à comprendre les fragilités de Clara. « Leur cœur n’est pas endurci comme le nôtre », avoue Béatrice. Parrain et marraine de la jeune fille, ils affirment que Jésus a un projet pour elle : « Quand on regarde d’où vient Clara et où elle en est aujourd’hui, on se dit qu’elle est la preuve vivante de l’amour de Dieu ».
Depuis le début, Dieu a toujours été là pour moi. Dans tous les moments où j’ai rebondi, je le sais, la main de Dieu m’a saisie.
Arrive enfin le jour du baptême, en avril 2019. « J’ai sentis quelque chose de très fort et j’avais besoin de rester en silence, seule avec Jésus », se souvient Clara. Mais c’est encore une descente aux enfers qui s’ensuit. « Le Diable n’était pas content que je sois baptisée. J’ai senti le combat et j’ai bu pendant trois jours. Je sentais pourtant que je n'avais pas besoin de tout cet alcool, que je ne devais pas me faire du mal ». L’alcool reste un fauve prêt à bondir. Clara se relève puis retombe à de nombreuses reprises.
Près de Lourdes, existe une communauté destinée aux jeunes sevrés de tous types d’addiction, le Cenacolo. Par la vie en communauté, la jeune fille grandit dans sa foi, elle apprend à demander pardon et à pardonner. Mais c’est trop dur, le séjour s’interrompt brutalement. Clara reconnaît qu’elle n’était pas toujours en vérité. De séjours en clinique psychiatrique en cures de sevrage, Clara comprend ce que sa mère a vécu et commence alors une démarche de pardon. « Je comprends que maman nous a mal aimées, ma sœur et moi. Elle ne savait pas comment s’y prendre. Je ne peux pas dire qu’elle ne nous ait pas aimées ».
Aujourd’hui, l’alcool reste encore un combat mais l’envie de vivre et d’aimer est plus forte. « Maman me manque toujours, mais j’ai trouvé un ami : Jésus. Je le prie, avec Marie, le soir et je sais qu’ils veillent sur moi », reconnaît Clara. « Depuis le début, Dieu a toujours été là pour moi. Dans tous les moments où j’ai rebondi, je le sais, la main de Dieu m’a saisie ». Sœur Blandine le confirme, « la grâce de Dieu sur Clara est incontestable ».