Au début de l’occupation allemande, Joseph Haffmann (Daniel Auteuil), père de famille, envoie sa femme et ses enfants en zone libre. Avant de les rejoindre, il prend soin de conclure un marché avec son employé, François Mercier (Gilles Lellouche), pour que celui-ci continue de faire vivre sa bijouterie en devenant propriétaire à sa place. Mais au moment de partir en zone libre, la situation s'aggrave. Les Allemands sont partout et le voilà bloqué à Paris, réfugié dans la cave de sa bijouterie, sous la protection singulière de son ancien employé.
L’adaptation de la pièce de Jean-Philippe Daguerre tient ses promesses, aussi bien au niveau du casting que de la réalisation. Gilles Lellouche y apparaît étonnant de crédibilité dans ce rôle de traître, tout comme sa partenaire de jeu, Sara Giraudeau, qui incarne sa femme Blanche Mercier, touche par la subtilité de sa présence. Daniel Auteuil, quant à lui, est fidèle à lui-même et ne déçoit jamais.
Un drame intimiste entre deux virilités contraires
Au drame que subit Joseph Haffmann, condamné à rester caché dans sa cave, s’ajoute celui du couple Mercier. Celui-ci n’arrive pas à avoir d’enfant. Et François le vit comme une honte, un affront à sa virilité. Alors qu’il cache son employeur, tout en faisant commerce avec l’occupant et habitant dans l’appartement des Haffmann, un glissement s’opère entre le service rendu au départ et la tournure qu’il prend. La pression grandissante du dehors, avec les lois de plus en plus dures à l’égard des juifs, devient très vite difficile à gérer. Au lieu de protéger Joseph Haffmann, il se protège de plus en plus lui-même ainsi que son couple. Jusqu’au moment où il demande un étrange service à Haffmann : une solution pour aider son couple à avoir un enfant. Bientôt, Blanche est prise entre ces deux hommes, en plus de sa responsabilité morale à protéger celui qui leur a tout donné.
Le conflit, entre l’égoïsme de son mari et son désir de faire le bien s’invite carrément dans son intimité la plus profonde. La question de l’enfant prend alors plus de place que l’homme juif menacé par la guerre, emprisonné et coupé de sa famille. Le symbole de l’enfant incarne d’ailleurs un dilemme intéressant entre le désir de vie — ou de possession — et l’altruisme, vécu différemment par Blanche et François. C’est finalement la femme qui protégera la vie au détriment de son égoïsme. De l’autre côté, Joseph Haffmann continue de briller par son talent de bijoutier. C’est lui qui fabrique les plus belles pièces vendues aux Allemands. Lui encore qui ne faillit jamais dans cette situation humiliante et garde toujours son honneur.
L’histoire repose enfin sur les identités des deux hommes, interchangeables durant tout le film : du changement de nom du magasin jusqu’à leur place auprès de Blanche, en passant par le trafic des pièces d’identité. Soulevant habilement la question de ce que l’on doit à l’identité ou au caractère, au nom ou à l’attitude. Dans ce huis-clos où le silence se joue à plusieurs niveaux, le danger n’est même plus d’être repéré par les Allemands, mais plutôt de tromper sur ce qu’on est vraiment. Peu importe le nom, l’origine ou bien la nationalité. C’est donc un drame subtil, très élégamment joué, avec des sentiments pudiques et vrais, et dont le découpage des scènes est fait avec intelligence.
Adieu Monsieur Haffmann, de Fred Cavayé, avec Daniel Auteuil, Gilles Lellouche et Sara Giraudeau, 1h56, en salles le 12 janvier.