Lundi 18 octobre, Jean Castex s’est rendu à Rome pour célébrer le centenaire du rétablissement des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège. Cet événement n’a point été traité à sa juste mesure, car il « a été bousculé par l'actualité après la publication [...] des conclusions de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église », écrit l’AFP. Bousculé ? C’est peu de le dire. Du discours du Premier ministre n’a guère émergé qu’une seule phrase : « La séparation de l’Église et de l’État, ce n’est en aucun cas la séparation de l’Église et de la Loi. » Une citation équivoque : si elle dit que l’Église a des comptes à rendre à la société, elle affirme aussi que séparer n’est pas exclure. Jean Castex, dans des couplets bernardinesques, rejouerait-il Nicolas Sarkozy au Latran ? Ne lui faisons pas le procès de draguer les catholiques attirés par Éric Zemmour. Pour le pape, la campagne électorale n’est pas commencée, sinon il ne l’aurait pas reçu.
Éloge de la papauté
Écoutons plutôt le Premier ministre : « La laïcité [...], loin d’être [...] le moyen d’exclure le fait religieux de l’espace social et du débat public, [...] délimite simplement les domaines d’intervention de l’État d’un côté et de la religion de l’autre. Il n’est pas question d’un conflit de transcendance mais simplement de rendre à la République ce qui est à la République et à Dieu ce qui est à Dieu. » Voilà qui est clair. Il n’y a pas de conflit de transcendance. L’État et l’Église coexistent mais ne jouent pas dans la même catégorie. La loi civile régule les conflits entre les hommes ; la loi religieuse libère les hommes de leurs conflits intérieurs. Cette bonne compréhension du séparatisme n’aurait-il pas mérité plus d’écho ? Emmanuel Macron commença son quinquennat par la tournée des religions. Son discours aux Bernardins avait produit le même effet que celui du renard sur le corbeau. Son mandat s’achève dans la froideur et la méfiance, comme l’illustre l’accueil reçu par sa loi sur le séparatisme. Jean Castex a-t-il voulu arrondir les angles ? Peut-être.
En tout cas, le Premier ministre insérait son propos dans une réflexion aboutie sur les relations multiséculaires entre la France et l’Église : « Avec un siècle de recul, alors que notre pays est victime d’une haine terroriste qui prend une religion pour prétexte, la profonde sagesse des papes Léon XIII et Pie XI est une leçon adressée à tous ceux qui pensent que croire en la transcendance divine autorise à s’affranchir de tous les droits humains. » Cet éloge de la papauté n’est pas si fréquent. Mais les media sont passés à côté. À l’ère de l’usinage informationnel calibré par l’info continue, c’est comme si le temps long disparaissait de la conscience, comme si l’écume de l’info balayait les vaisseaux portés par la houle des siècles.
Gentiment subtil
Jean Castex a su se montrer gentiment subtil en rappelant qu’au lendemain du vote définitif de la Loi de Séparation, le cardinal secrétaire d’État Rafael Merry del Val avait écrit à la nonciature à Paris : « Il est de toute nécessité que la presse catholique ne fasse pas état du succès obtenu. Ce serait de la mauvaise politique… » Comme si Rome avait alors remercié le petit père Combes pour avoir mis fin à sept siècles de gallicanisme mais que le Vatican ne pouvait pas le dire à son opinion traumatisée. Certes, la loi de 1905 rendait à l’Église sa liberté mais dans la douleur et la fracture, comme la France a l’habitude de le faire. Le régime d’alors n’eut aucun égard pour le geste qu’avait accompli le pape Léon XIII dans son encyclique Au milieu des sollicitudes (1892) autorisant les catholiques à rallier la République.
En 1905, s’ouvrit une période de glaciation qui gela les relations entre la fille aînée et sa sainte mère l’Église. Pour les rapprocher, il fallut des épreuves ultimes : la Grande Guerre et son million de mort, et ses curés sac au dos dans les tranchées. En 1920, Clemenceau quittait le pouvoir ; la donne changea : « On est conscient des avantages d’une normalisation, écrit l’historien Yves Bruley. Le concordat reste appliqué en Alsace-Lorraine, de nouveau française. Se pose aussi la question des évêques, que le pape nomme librement, sans que la France ait les moyens d’influencer ses choix. » Plusieurs personnages allaient se retrouver autour d’une même volonté : Aristide Briand, Georges Mandel, Benoît XV, ce pape qui déclarait « regretter de ne pas être Français de naissance mais l’être de cœur ».
Distincts mais pas opposés
Yves Bruley raconte : « En mars 1920, un projet de loi est présenté à la Chambre des députés en vue de rétablir le budget de l’ambassade près le Saint-Siège. Il est même question d’organiser un voyage du président de la République, Paul Deschanel, au Vatican. L’idée n’a pas eu de suite, mais à l’occasion de la cérémonie de canonisation de Jeanne d’Arc, le 16 mai 1920, la République se fait représenter à Rome par un ambassadeur extraordinaire, l’ancien ministre et académicien Gabriel Hanotaux. » C’est lui qui devait préconiser « une séparation dans l’accord ». La République n’ignorait plus Rome et réciproquement. « Le 17 mai 1921, note encore Yves Bruley, le gouvernement dirigé par Aristide Briand — l’auteur de la loi de 1905 — nomma ambassadeur près le Saint-Siège un homme politique de premier plan, Charles Jonnart (1857-1927).
Lundi, à la villa Bonaparte, Jean Castex a mis ses pas dans cette histoire-là, en présence du cardinal Pietro Parolin. Que le pape ait accepté de recevoir le Premier ministre français — qui n’est pas à son niveau de protocole — est aussi un signe : par la voix du saint père, le Saint-Siège s’efforce de porter une ligne, celle d'une « Europe sainement laïque, où Dieu et César soient distincts mais pas opposés ». Une ligne dure à tenir car beaucoup sont tentés de la franchir, dans un sens comme dans l’autre. Attention au hors-jeu, qu’on soit à Paris, Bruxelles, Varsovie, Budapest : c’est peut-être le sens à donner au cadeau offert par Jean Castex : un maillot du PSG signé Lionel Messi.