Il y eut un soir, il y eut un matin… Comment avons-nous pu aussi vite en arriver là ? Qui n’a pas été touché au plus profond, en ce 5 octobre dernier, par ce chiffre effrayant de victimes reconnues, auquel il faut ajouter tous ceux qui depuis lors trouvent dans l’aveu de leurs compagnons de souffrance la force de lever eux aussi la main et de dire leurs noms, qui n’a pas été pour tout dire, écœuré ? Et dans ce premier jour où la lumière jaillit des ténèbres, nous pensions aussi que le combat était du coup bien engagé. Le travail de cette commission, unique et intransigeant devait servir la Vérité, aussi bien pour l’Église que pour l’État et notre société. Tous les baptisés qui le souhaitaient, laïcs, consacrés, diacres, prêtres et évêques, ont pu entendre ou lire les discours, les recommandations, et, aussi, les remerciements qu’en nos noms à tous nos pasteurs ont formulés. D’où vient alors qu’aussitôt que ce jour de Vérité se soit levé, la nuit ait cherché à le faire disparaître ? Nuit des petites phrases, nuit des petits commentaires, nuit des paroles vaines…
Ce que met en évidence, et avec quelle lucide cruauté, ce rapport, c’est la faillite de notre corps ecclésiastique. Faillite d’une confusion collective entre l’appel reçu et notre identification à Celui qui en est l’auteur. Faillite d’un corps dont les membres sont pour l’immense majorité intègres et bons — ou du moins tentent de l’être comme la plupart des hommes ! — mais se voient projetés dans un idéal d’où ils ne peuvent que déchoir. Faillite d’un univers mental où la sexualité demeure un tabou puissant sauf lorsque l’on évoque celle d’autrui, et où l’angoisse de l’amour partagé pousse quelques-uns à chercher un refuge dans une identité dont ils s’aperçoivent un peu tard qu’elle ne leur procure ni joie ni équilibre.
Nul ne sait ce qui sortira de ce jour de Vérité, sinon qu’il nous rendra plus libre d’être les disciples dont Jésus a besoin pour révéler au monde le Salut qu’Il est venu lui donner.
Le cardinal Lustiger aimait à reprendre cette sentence célèbre : « Le poisson pourrit toujours par la tête. » Ce ne peut pas être le cas de notre Église, puisque le Christ en est le Chef. À moins que quelques-uns, par une troublante confusion ontologique se soient laissés aller à en prendre la place ?
Mais voici qu’un autre jour se lève, le jour des baptisés, qui nous disent avec une vraie bienveillance et une ferme volonté qu’ils sont eux aussi responsables de l’Église. Par leur baptême puisqu’ils nous ont entendu ce jour-là leur annoncer de la part de Dieu qu’ils étaient désormais « prêtres, prophètes et rois » : et ils y croient ! Ils demandent d’être désormais associés, non pas tant à nos cuisines internes qu’à la manière dont le gouvernement s’exerce. Non par attrait du pouvoir mais par souci du service. Ils disent qu’ils ne sont pas des moutons mais des brebis et que c’est bien différent. Ils nous rappellent cette belle phrase d’Augustin recevant son épiscopat : « Pour vous je suis évêque, mais avec vous je suis baptisé. »
Il est des moments dans l’histoire où nous devrions pouvoir prendre un temps d’arrêt, pour réfléchir ensemble, discerner ensemble : refuser d’être les esclaves d’une horloge qui nous affole. Prendre ce temps, dans nos paroisses, dans nos diocèses, en nous mettant en face les uns des autres pour discuter, débattre, dialoguer : non pour nous enseigner doctement ou nous perdre dans une prière plus pieuse que véritable, mais pour permettre à l’Esprit de nous rassembler et nous ouvrir les yeux et le cœur sur la mission à laquelle nous sommes appelés et que nous ne pouvons vivre qu’unis dans un même corps. Nul ne sait ce qui sortira de ce jour de Vérité, sinon qu’il nous rendra plus libre d’être les disciples dont Jésus a besoin pour révéler au monde le Salut qu’Il est venu lui donner. Ou sinon, la nuit reviendra, plus sombre, plus froide, plus mortelle que la précédente.