Nous sommes en 1239. Saint Louis ramène de Terre sainte l’une des reliques les plus importantes de la chrétienté appartenant jusque-là à Baudoin II, empereur de Constantinople : la fameuse couronne d’épines portée par le Christ au jour de sa crucifixion. Le 19 août, après un voyage sur l’Yonne et la Seine depuis la ville de Villeneuve-l'Archevêque — où la couronne avait été déposée après avoir quitté Constantinople puis Venise — la relique arrive enfin à Paris. À cet instant crucial, le roi se délaisse de ses attributs royaux, ôte ses souliers et, pieds nus, marche jusqu’à la cathédrale Notre-Dame. La couronne dans les mains, il est suivi par son frère, Robert, ainsi que des clercs, prélats et seigneurs, également pieds nus. Après l’avoir exposée un temps dans la cathédrale, le roi dépose la relique dans la chapelle Saint-Nicolas au cœur du Palais de la Cité.
En 1241, le roi acquiert d’autres reliques importantes liées au Christ : un fragment de la vraie croix, la lance et l’éponge de la Passion... Un acte hautement spirituel mais tout aussi politique : "Ainsi, Dieu choisit la France de préférence à toutes les autres nations de la terre pour la protection de la foi catholique et pour la défense de la liberté religieuse. Pour ce motif, le royaume de France est le royaume de Dieu ; les ennemis de la France sont les ennemis du Christ", écrivait le pape Grégoire IX dans une lettre adressée à saint Louis le 21 octobre 1239.
La Sainte-Chapelle, plus qu'une chapelle, une châsse !
Et pour conserver des reliques d’une telle importance, saint Louis a conscience qu’il faut un monument de taille. Pas une simple chapelle mais bien une véritable châsse géante ! Le choix de l’emplacement est également primordial. Saint Louis cible naturellement le Palais royal, réaffirmant ainsi le lien qui unit les reliques sacrées à la couronne royale. L’ancienne chapelle Saint-Nicolas, qui n’était pas à la hauteur, est ainsi détruite et remplacée par une nouvelle chapelle sur deux niveaux totalement novatrice. On n’a jamais vu une œuvre d’une telle splendeur ! Plus de 600m2 de surface vitrée qui offre une légèreté incroyable à l’ensemble. Car outre la finesse de son architecture, la chapelle doit véritablement sa majesté aux verrières de quinze mètres qui ornent la chapelle haute, la transformant en véritable cathédrale de lumière.
Prouesse technique d’une incroyable virtuosité, la Sainte-Chapelle c’est aussi une iconographie pensée et voulue par saint Louis afin d’inscrire son règne dans la lignée des rois bibliques. Au milieu des scènes de l’Ancien Testament se devine celle de la translation des reliques par saint Louis. Le roi s’inscrit ainsi symboliquement comme le dernier roi biblique. Au niveau de l’abside se déploient les scènes de la vie du Christ, épicentre du programme iconographique. Enfin, en face, s’épanouie la grande rose de l’Apocalypse, construite au XVe siècle, point d’orgue du programme iconographique. Placée à l’ouest, face au couchant, elle rappelle la fin des temps. Au centre de cette rose, le Christ trône en majesté. Dans sa bouche sort une épée à double tranchant. Elle évoque la Parole du Seigneur, celle qui, au jour du Jugement, sépare le mal et le bien, les ténèbres et la lumière.
La première Sainte-Chapelle d'une longue série
Construite sur deux niveaux, la chapelle basse, plus sobre, accueillait le personnel du château. Quant à la chapelle haute, elle était réservée au roi et à la famille royale ainsi qu'aux chanoines. C’est ici qu’étaient exposées les reliques de la Passion, sur un grand baldaquin, auprès duquel saint Louis pouvaient venir se recueillir à sa guise. Les plus précieuses étaient conservées dans une grande châsse, véritable coffre-fort d’orfèvrerie et le roi gardait sur lui, en permanence, les clés qu’il confiait à des personnes de confiance en de rares occasions. À la Révolution, le grand reliquaire est malheureusement fondu mais, par chance, les reliques ne sont pas profanées. Leur sacralité impose naturellement le respect, même auprès des révolutionnaires. Transportées un temps à la basilique Saint-Denis, beaucoup ont été dispersées et perdues mais la Sainte Couronne, graal des reliques de la Passion, a traversé le temps. Elle est aujourd’hui conservée à la cathédrale Notre-Dame de Paris. En 1843, la tribune des reliques située dans l’abside est reconstruite à partir de gravures antérieures ce qui laisse imaginer ce que saint Louis a connu.
Souhaitant s’inscrire dans la lignée du roi saint, de nombreux membres de la famille royale ou des princes de sang, on décidé, par la suite, de construire leur propre Sainte-Chapelle, rehaussant, au passage, le prestige de leur résidence. Mais pour être considérées comme "Sainte-Chapelle", elles devaient répondre à des critères stricts : être fondée par un descendant de saint Louis et appartenir à une résidence royale ou princière ; posséder un fragment de la relique de la vraie croix ou de la couronne d’épines présente à la Sainte-Chapelle de Paris ; avoir une forme architecturale quasi-similaire au modèle parisien (jusqu’au programme iconographique des vitraux) ; et célébrer des messes pour le fondateur et ses descendants aux heures canoniales en usage à Paris. Ce mimétisme, qui perdura durant plusieurs siècles, était une façon de s’inscrire dans la lignée prestigieuse de saint Louis, figure exceptionnelle à la fois, homme, roi et saint et fondateur d'un des plus beaux reliquaires de France.