En entrant dans la basilique de Verdelais (Gironde), le regard est happé par la statue d’une Vierge à l’Enfant qui trône dans le chœur, au sein d’une absidiole située au-dessus de l’autel. Datant, selon les experts, de la fin du XIIIe siècle (ou début XIVe), elle a miraculeusement été conservée, comme en témoignent les histoires de la tradition à son sujet.
En bois de châtaigner polychrome, la Vierge porte l’Enfant sur ses genoux. Sous son manteau, Jésus tient un oiseau entre ses mains et se tourne vers sa Mère en souriant.
Pendant le temps ordinaire, la Vierge est parée, ainsi que Jésus, d’un manteau vert. Mais selon le calendrier liturgique, elle revêt des étoffes de différentes couleurs : blanc pour le temps pascal et le temps de Noël, violet pour l’Avent et le Carême, rouge pour le dimanche de la Passion, le vendredi saint et la Pentecôte, rose pour le troisième dimanche de l’Avent (gaudete) et le quatrième dimanche de Carême (laetare).
Mais son imposante garde-robe ne s’arrête pas là. Les pièces les plus anciennes, conservées au musée d’art sacré de Verdelais, brodées de fil d’or, agrémentées de diadèmes ou de couronnes, ont été portées à l’occasion de grandes solennités par le passé. Un véritable trésor dans la mesure où ces vestiaires destinés aux statues mariales ont souvent été détruits ou pillés pour leur riches matériaux. D’autres robes, soigneusement gardées à la sacristie, se déclinent en blanc, en bleu, en vue des fêtes mariales, ou encore en noir, pour des funérailles. Chaque ensemble se compose d’un manteau pour la Vierge et d’un plus petit pour Jésus, ainsi que d’un pectoral et d’un long voile de plus de deux mètres pour la Vierge.
Si certaines pièces ont été offertes en remerciement d’une grâce obtenue, d’autres sont des cadeaux en signe de dévotion à la Vierge. Des donateurs du XIXe, pour la plupart, mais pas seulement. En 2011, puis en 2014, la créatrice d’étoles de luxe Petrusse a confectionné et donné deux manteaux à la Vierge de Verdelais.
La tradition d’habiller les statues de la Vierge remonte au Moyen Âge. Une manière de conférer une dignité au culte de la Vierge Marie, et d’honorer, à travers de belles étoffes rehaussées parfois de pierres et métaux précieux, la Reine du Ciel. Philippe de Bercegol, dans son ouvrage Notre-Dame de Verdelais, Légendes et réalités (Les dossiers d’Aquitaine), fait concorder cette pratique à Verdelais avec l’arrivée des religieux grandmontains en 1160. Selon eux, la beauté de Marie conduit vers Dieu. Alors qu’au tournant du XIIe siècle, Marie est généralement habillée de bleu, les grandmontains habillent la Vierge en or, couleur de la lumière divine. Il faut attendre le XIXe et le dogme de l’Immaculée Conception (8 décembre 1854) pour voir la Vierge revêtue de blanc, symbole de pureté et de virginité.
Une statue à l’existence mouvementée
Si elle trône aujourd’hui, parée de somptueux vêtements, dans une absidiole de la basilique, la statue de Notre-Dame de Verdelais a connu une histoire mouvementée. La tradition rapporte qu’elle aurait été sauvée par trois fois des destructions liées à la Guerre de Cent Ans, aux guerres de religion et à la Révolution Française. Ainsi, vers 1295, la chapelle fut pillée et incendiée. Les grandmontains cachèrent la statue en l’enfouissant sous terre, dans un caveau maçonné, au lieu dit aujourd’hui "Le pas de la mule". Selon la tradition, un siècle plus tard, vers 1390, tandis que la Comtesse Isabelle de Foix traversait le bois du Luc, à proximité de Verdelais, pour aller visiter ses terres, sa mule s’arrêta soudainement, ne pouvant ni avancer ni reculer, le sabot enfoncé dans une large pierre. La Comtesse descendit aussitôt de sa monture, fit soulever la pierre, sous laquelle elle découvrit la statue en bois.
Pendant les guerres de religion, vers 1558, la chapelle fut à nouveau pillée et incendiée, et la statue jetée au milieu des flammes. Nullement endommagée, des voisins la récupérèrent et la cachèrent dans un tronc d’arbre. La légende raconte qu’elle fut retrouvée en 1605 grâce au mugissement d’un bœuf qui "s’écartait tous les soirs et se tenait agenouillé comme s’il eut été prosterné au pied d’un arbre, poussant des gémissements".
Enfin, en 1793, lors de la Révolution, le Maire, Monsieur Grenouilleau, ordonna d’enlever la statue de la Vierge pour la brûler et l’enlever à la dévotion des fidèles. Mais le sacristain refusa de la descendre. Le maire s’adressa alors à Monsieur Gassic, maçon de son métier, lui intimant d’ôter la statue. Ce dernier aurait répondu : "Fais-le toi-même, citoyen maire, et monte si tu l’oses. Pour moi : jamais". Le maire appliqua lui-même l’échelle le long de la niche qui abritait la statue et grimpa. Il s’apprêtait à saisir la statue lorsqu’il fut saisi d’un malaise : "Soutenez-moi, je n’y vois plus", aurait-il murmuré, avant de tomber dans les bras d’un officier municipal. Il se contenta de fermer l’église et défendit à quiconque d’y entrer sans permission écrite. Le sacristain en profita pour mettre la statue en lieu sûr.
Au fil des siècles, la frontière entre légende et vérité historique fluctue. Cependant, la perpétuation de la tradition témoigne d’une foi qui ne s’éteint pas. "L’intérêt de ces légendes n’est certainement pas d’ordre strictement historique, mais elles attestent la ferveur populaire ainsi que la pérennité du pèlerinage et des grâces obtenues", rappelait en ce sens le père Bernard Ardura, Président du Comité Pontifical des Sciences Historiques, dans sa conférence "Verdelais, sanctuaire et pèlerinage, une rencontre entre foi et culture".