Parmi les nombreuses raisons du manque de ferveur des chrétiens figure une mauvaise compréhension de l'Eucharistie. Beaucoup de croyants s’abstiennent en effet de communier parce qu'ils s'imaginent que le Christ n'invite à sa table que les plus méritants de ses disciples. Dans leurs esprits, son invitation : « Prenez et mangez, prenez et buvez » ne s'adresserait qu'aux plus vertueux des pratiquants. C'est là une méprise sur l'Eucharistie dommageable à l’évangélisation. Le sacrement du corps et du sang du Seigneur n'est pas destiné à couronner une existence de chrétien accompli. Car dans ces conditions, qui pourrait se vanter sans présomption d'être digne de communier ?
Non, la table du Seigneur n'est pas une récompense pour services rendus ou une remise de diplôme de vertus évangéliques. Raisonner ainsi, c'est inverser le rapport entre sainteté et communion. Le chrétien ne communie pas parce qu'il est saint mais plutôt afin de le devenir. Autrement dit, la sainteté ne se trouve pas au départ, mais à l'arrivée. Remettre les choses à leur place, c'est déjà contribuer à lever un obstacle à la réception de l'Eucharistie et de la sorte à se mettre dans les dispositions adéquates pour répandre l'Évangile dans le monde.
Il est vrai qu’il existe des conditions à la communion, comme le rappelle le débat des catholiques américains actuellement sur la « cohérence eucharistique » : partager la foi catholique et ne pas être en état de péché mortel — c’est-à-dire ne pas coopérer volontairement au mal dans une matière grave — sont les deux principales conditions. Cependant, le plus important est d'intégrer que l'Eucharistie est autant un moyen qu'une fin pour ce qui regarde notre sainteté. Certes, l'ami de Jésus ressent comme une joie indicible de partager le repas du Seigneur où celui-ci se donne en nourriture afin qu'ils demeurent tous les deux l'un dans l'autre et de conforter de la sorte leur amitié. Dans ce cas, la communion est bien une fin en elle-même. Mais l'Eucharistie représente aussi un moyen — moyen de devenir saint et d'entrer plus profondément dans les sentiments de Jésus, de faire sien son amour de Dieu et des hommes.
L'Eucharistie est un don avant d'être un acte cultuel de notre part.
Pour bien comprendre ce rapport de cause à effet entre communion sacramentelle et sainteté, il est nécessaire d’assimiler deux choses. La première, c'est que l'Eucharistie est un don avant d'être un acte cultuel de notre part. Le geste de Dieu, qui nous donne son Fils, est premier par rapport au sacrifice que nous Lui faisons. Ici encore, Dieu, comme dans la Création ou la Rédemption, a l'initiative. De même que le christianisme est d'abord un mouvement de haut en bas, de Dieu vers l'homme, de même l'Eucharistie est d'abord un don divin avant d'être un sacrifice de l'homme en faveur de Dieu et des frères.
En second lieu, il est important de saisir que c'est à cause de Jésus et de son sacrifice que nous sommes capables de devenir des hosties vivantes agréables à Dieu. Notre capacité à offrir un sacrifice digne de Dieu découle du sacrifice du Christ, non de nos mérites ou de notre sainteté. C'est parce que le sacrement est le mémorial de la mort-résurrection de Jésus, c'est-à-dire l’actualisation de sa Pâque, que je suis en mesure, en communiant sacramentellement, de devenir à mon tour eucharistie. Une telle précision est importante en ce sens qu'elle nous fait une obligation de communier au corps du Seigneur pour offrir dignement nos vies à Dieu et à nos frères. S'il fallait attendre d'être devenus des saints pour communier, nous ne communierions jamais !
Ces remarques sont importantes parce qu'elles nous délivrent du sentiment de culpabilité. Nous ne devons pas craindre d'être indignes d'un tel repas. C'est d'ailleurs ce que nous confessons avant de communier avec les paroles du centurion de l'évangile : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. » L'Eucharistie comporte toujours une dimension pénitentielle. Toutefois, elle ne doit jamais conduire à nous croire hypocrites. Oui, nous ne sommes pas à la hauteur, oui, nous sommes pécheurs et notre amour est étriqué, malingre, chiche, oui, nous gardons des rancunes au fond de nous. Mais soyons bien persuadés que ce n'est pas malgré nos imperfections que le Christ nous demande de communier à son corps, mais plutôt afin de nous en guérir précisément. Le Christ se donne en nourriture pour que nous devenions saints, non parce que nous le sommes !