Il y a trois ans, si quelqu’un avait suggéré que je puisse entrer au couvent, j’aurais ri poliment et poursuivi le joli petit plan que j’avais tracé pour ma vie : j'avais un super petit ami, j’envisageais de faire un doctorat et j'avançais vers ma carrière professionnelle. Et pourtant, me voici à quelques mois de mon entrée au monastère.
Au cours de ces trois dernières années, ma vision des choses a évolué à mesure que je prenais conscience que Dieu avait manifestement pour moi, d’autres plans que ceux que j’avais méticuleusement préparés. J'ai vite compris que tenter de faire autrement n'aboutirait à rien.
Mais je me suis embarquée dans quoi, au juste ? Quand les gens s’imaginent la vie religieuse, ils en ont d’abord souvent une vision active : des sœurs investies dans des écoles, des hôpitaux ou auprès de sans-abris, au service de Dieu et de l’Église. Je dois admettre, je trouve cette façon de donner sa vie séduisante. Et pourtant, malgré cela, j’ai ressenti une attirance indéniable pour la vie cachée de religieuse contemplative.
Le seul moyen d’avancer concrètement dans mon processus de discernement était de contacter un monastère pour de vrai
Jusqu’à récemment, hormis les belles formules sur la sainteté cachée, j’en savais très peu sur le quotidien d’une religieuse. La vie dans un monastère était un mystère pour moi. En bonne "millenial", j’ai donc lu d’innombrables articles, regardé beaucoup trop de vidéos sur YouTube et parcouru je ne sais combien de sites de communautés pour essayer de récolter le plus d’informations possibles.
Mais je me suis vite rendu compte – à mon grand désarroi– que le seul moyen d’avancer concrètement dans mon processus de discernement était de contacter un monastère "pour de vrai". J’ai donc retenu mon souffle et cliqué sur le bouton "Envoyer" de mon message à la maîtresse des novices d’un couvent. Elle m’a répondu et nous avons convenu d’un rendez-vous téléphonique.
Au cours de notre conversation, chaque détail qu’elle me partageait sur la vie monastique attisait en moi ce sentiment que Dieu m’appelait peut-être à une vocation de religieuse contemplative dominicaine. L’idée de franchir la porte du monastère et d’y passer le restant de mes jours était intimidante, mais je sentais que je ne pouvais faire autrement que d’en apprendre plus sur ce mode de vie particulier.
J’ai appris que la vie d’une sœur ne se résume pas à la prière formelle ; chaque facette de sa vie, petite ou grande, devient une offrande au Seigneur.
L’été dernier, j’ai donc partagé la vie des sœurs pendant un mois, au couvent. Effectivement, elles prient beaucoup. Mais ce que j’y ai trouvé ne correspondait pas à ma vision préconçue de silhouettes voilées immobiles, agenouillées en prière toute la journée. Les sœurs sont bien plus que des ombres derrière une grille. Chaque journée commençait aux aurores au son de la cloche. Le profond silence était rompu par le chant des psaumes pendant les Laudes, le premier des sept offices de la liturgie des Heures chantés par la communauté. La routine quotidienne s’articulait autour de la participation au sacrifice qu'est la messe, à la prière de la liturgie des Heures et à l’adoration eucharistique.
Malgré tout ce temps passé dans la chapelle, j’ai appris que la vie d’une sœur ne se résume pas à la prière formelle ; chaque facette de sa vie, petite ou grande, devient une offrande au Seigneur. Même les tâches quotidiennes les plus basiques comme cuisiner, faire le ménage ou entretenir le jardin deviennent des occasions de prière.
J’ai également adopté certaines pratiques pénitentielles de la communauté, comme manger des repas simples ou dormir sur un matelas étroit et peu épais. Je consacrais deux heures tous les jours à la prière personnelle et à la lectio divina. Auxquelles j'ajoutais un temps d’étude des Écritures et de la théologie, composante essentielle et spécifique à la vocation dominicaine. La journée s’achevait avec les Complies, suivies du Salve Regina qui place tout le travail du jour sous la protection de la Vierge Marie.
Je ne peux nier qu’au bout de ce qui semblait être une journée sans fin, j’étais complètement épuisée. Mais je n’avais jamais été aussi heureuse ! C’est un sentiment difficile à exprimer. Quitter tout ce que je connaissais pour une vie si simple et structurée : comment est-ce que je pouvais le trouver si désirable ? Tout ce que je peux dire, c’est que j’étais captivée. J’ai donc demandé à commencer ma formation et j'ai été acceptée comme postulante chez les sœurs dominicaines contemplatives du monastère Notre-Dame-de-Grâce de North Guilford, dans le Connecticut.
Malgré mon enthousiasme, il restait une question difficile : même si je trouvais la vie monastique attrayante et belle, comment serait-il possible pour moi de vivre de cette manière ? Comment fait-on pour vivre au même endroit, au sein de la même communauté et avec le même emploi du temps pour le reste de sa vie ? La réponse, c’est la grâce. Ce n’est que par la grâce que je serai capable de faire cette difficile transition d'une "vie dans le monde" vers une "vie cachée" derrière les murs du monastère. Pour tout dire, je ne sais toujours pas vraiment ce que c’est de vivre une vie de religieuse contemplative. Avec la grâce de Dieu, j’espère apprendre une chose ou deux, que je vous partagerai quand on se retrouvera au Ciel.
Le 22 juillet 2021 – jour de la fête de sainte Marie-Madeleine – je franchirai donc les portes du couvent et je commencerai ma nouvelle vie. Je troquerai mon jean et mes baskets pour un habit bleu de postulante et un court voile, bleu lui aussi. Je vais "me défaire de [ma] conduite d’autrefois" et "[me revêtir] de l’homme nouveau ". (Ep 4, 22-24) Avec mon habit de postulante, j’entrerai dans la chapelle où je retrouverai mes nouvelles sœurs dominicaines au chant du psaume 121 : "Quelle joie quand on m'a dit : Nous irons à la maison du Seigneur !"
Alors, je prierai les vêpres et, en m’agenouillant devant Lui et en Le contemplant dans l’ostensoir, je pourrai dire : "Mon cœur est prêt, mon Dieu, mon cœur est prêt !" (Ps 56) C’est à ce moment précis que je saurai que j’ai commencé à répondre à l’appel – l’appel du couvent.