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Notre-Dame de Liesse, la Vierge des chevaliers et de la princesse musulmane

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Notre-Dame de Liesse (Aine).

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Anne Bernet - publié le 30/05/21
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Chaque dimanche du mois de Marie, Aleteia découvre un sanctuaire marial méconnu. Avec Notre-Dame de Liesse, vénérée dans le diocèse de Soissons, Laon et St-Quentin, nous sommes devant une Vierge au message prophétique : mystérieusement venue de Terre Sainte dans les mains d’une princesse musulmane convertie par des chevaliers, elle couvrira la France de grâces inépuisables. (5/5)

En 1134, trois chevaliers français de l’ordre des Hospitaliers de Saint Jean, sont pris par les musulmans dans un guet-apens tendu près d’Ascalon. En d’autres heures de l’histoire du royaume latin de Jérusalem, l’ennemi les eût, sort ordinaire réservé aux membres des ordres militaires réputés pour leur bravoure, immédiatement mis à mort, avec la satisfaction d’avoir porté un grand coup aux forces croisées mais, contre toute attente, pour une fois, les trois prisonniers sont épargnés. Ce n’est pas que les Infidèles en espèrent rançon : par principe, Hospitaliers et Templiers ne rachètent jamais leurs prisonniers, tout le monde le sait, mais le Sultan El Hazan attend mieux de cette prise… Pousser ces champions du Christ à l’abjuration serait une satisfaction plus éclatante que leur supplice. On jette donc les trois moines soldats dans le plus noir cachot de la forteresse du Caire et on les y laisse.

Frères en religion, Jean, Hector et Henri de Heppes le sont aussi par le sang. Ils ont vingt ans plus tôt quitté leur château familial de Marchais, près de Laon, abandonné avec leur héritage au benjamin, pour rejoindre la Terre sainte et y chercher le martyre. Vingt années d’âpre vie religieuse, de privations et de combats leur ont trempé l’âme. Préparés aux mauvais traitements, ils les endurent sans faiblir.

Au bout de quelques mois, le Sultan change de tactique et envoie aux captifs les meilleurs docteurs de l’université islamique d’El Hazhar, à charge pour eux de les convaincre de la véracité de la foi de Mahomet. Contre leur conversion, on leur promet monts et merveilles. Les frères de Heppes restent fermes dans leur attachement au Christ et même, certains universitaires les quittent fâchés, car ils se sentent ébranlés dans leurs convictions… El Hazan décida alors, prêt à tout, d’user d’une arme secrète, qu’il estime fatale : il expédie à la prison l’une de ses filles, Ismérie, avec mission d’obtenir des trois hommes ce que les sages n’ont pu en tirer : leur apostasie. Ismérie est d’une beauté à couper le souffle et, dès qu’elle enlevait son voile, les hommes en restaient éblouis, prêts à tout pour lui plaire. La princesse se rend à la geôle mais ses charmes, si grands pourtant, laissent de marbre ces guerriers voués à la chasteté qui, fidèles à la règle de l’Ordre, qui leur interdit de regarder une femme, fût-elle leur mère ou leur sœur, ne lèvent pas les yeux sur elle…

Piquée au vif, la jeune fille, renonçant à séduire, se mit alors à vanter aux captifs les grandeurs de l’islam. Amusés, désolés aussi du vilain rôle que son père lui fait jouer, les trois chevaliers acceptent le débat et, au bout d’un moment, cédant à une inspiration céleste, Jean de Heppes se met à parler de Notre-Dame. Ismérie connaît la mère du prophète Aïssa sous un autre visage ; étonnée, elle demande naïvement à voir Jésus et Marie. Jean de Heppes répond que les voient seulement ceux qui en sont dignes, et au préalable baptisés. La princesse réclame alors "au moins une image de la Dame Mariam". Étrange exigence de la part d’une fidèle fanatique d’une religion qui interdit les représentations humaines… Jean de Heppes sent là une faille dans les convictions de la princesse et, comme si la chose va de soi, répond : "Donnez-moi des outils et du bois, et nous vous sculpterons une image de Notre Dame." Promesse inconsidérée ! Aucun des trois frères n’a de sa vie touché ciseau ou gouge ; ils seraient donc bien en peine de sculpter quoi que ce soit… Jean, comme ses cadets lui en font la remarque, réplique : "Prions et notre bénigne Dame y pourvoira".

Un geôlier revient, avec les outils réclamés et un morceau de bois odorant, ce qui n’avance pas à grand-chose… Tous les efforts de Jean restent vains, il ne sait pas sculpter. La nuit interrompt ses misérables tentatives. Il n’en est pas inquiet et se borne à dire à ses frères consternés : "Dormons. Nous verrons demain à trouver un moyen de faire cette statue." Les chevaliers s’endorment, l’un confiant, les autres rongés d’angoisse.

Or, au milieu de la nuit, une lumière qu’ils prennent pour celle de l’aube les réveille. Ce n’est pas le jour mais une clarté qui émane de la cellule même et du morceau de bois abandonné la veille. À la place de la souche que Jean n’a même pas su équarrir se dresse une statue de la Vierge à l’Enfant d’une ineffable beauté. C’est elle qui répand cette lueur, en même temps qu’un parfum enivrant inconnu sur cette terre. Subjugués, les trois frères tombent à genoux devant l’image miraculeuse et pleurent de bonheur en la contemplant. Jean déclare : "Nous l’appellerons Notre Dame de Liesse car elle met joie au cœur."

Au matin, la princesse revient, et demeure sidérée devant la statue miraculeuse que les chevaliers lui confient contre promesse qu’elle veillerait à ce qu’elle ne soit "jamais profanée". Elle l’emporte au palais, la dissimule dans sa chambre et reste à la contempler, bouleversée. La grâce a fondu sur elle, et bientôt, elle pleure à chaudes larmes car elle a reconnu la véracité de la foi chrétienne, en même temps que l’impossibilité pour elle de s’y convertir… Toute la journée, toute la nuit, Ismérie pleure et prie. Enfin, à l’aube, une grande lumière baigne la pièce. C’est la Sainte Vierge qui, se penchant vers elle, lui dit avec tendresse : 

Ismérie croit aux promesses de Marie. Au point du jour, usant du laisser-passer fourni par son père, elle se rend à la forteresse et en fait sortir les trois chevaliers, avec lesquels elle quitte Le Caire. Les fugitifs chevauchent toute la journée en direction de la frontière du royaume franc. Au soir, Jean de Heppes estime fou de tenter de franchir le Sinaï en pleine nuit et donne ordre de faire halte. Les trois hommes, la princesse et la statue de Notre-Dame qu’elle a emportée dans leur fuite, se trouvent au bord du Nil. Ils se couchent et dorment, dans l’assurance que la Vierge veille sur eux.

Quand ils se réveillent, ils n’en croient pas leurs yeux. Plus de fleuve, ni de désert, mais les doux vallonnements d’un paysage étrangement familier avec, en arrière fond, leur château de famille… Avisant un berger qui mène son troupeau, Jean lui demande où ils se trouvent. "Mon beau seigneur, vous êtes au diocèse de Laon et tout près du château de Marchais." Par un incroyable miracle, les chevaliers sont revenus là où ils pensaient ne jamais revenir : chez eux…  On est au matin du 18 août 1134. Fous de joie, les trois frères courent jusqu’à la maison natale, se font reconnaître de leur mère, racontent le prodige. Puis s’avisent qu’ils ont, dans leur hâte, oublié la princesse et la statue miraculeuse, qu’ils retournent chercher.

Déjà, ils annoncent leur intention de bâtir pour Notre-Dame de Liesse une splendide chapelle à l’endroit de leur réveil. La Vierge ne l’entendait point de cette oreille. Tandis que l’on emporte la statue vers le vallon, elle se fit soudain, comme on traversait un verger, très lourde. Jean de Heppes comprend le message mais cet arpent de terre est mal situé et n’appartient même pas à sa famille, aussi passe-t-il outre. Inutilement. La statue, ramenée près de la fontaine, s’en envole pour rejoindre le verger. Il fallut l’y laisser et acheter le terrain.

Averti, l’évêque de Laon, Mgr de Vir, qui se chargerait bientôt d’instruire la princesse dans la foi catholique, promet de faire élever, non une chapelle, mais un sanctuaire magnifique à Notre-Dame de Liesse et donne pour le chantier une partie des pierres et des ouvriers qui travaillent à la construction de sa cathédrale. Le 8 septembre 1134, Ismérie reçoit au baptême le prénom de Marie. Peu après, elle épouse Robert de Heppes, le frère resté dans le monde, mais meurt en mettant au monde un garçon prénommé Jean, qui partirait en croisade avec saint Louis et que les chroniqueurs appellent parfois "le fils de la Mauresse". Il y avait longtemps déjà que les trois chevaliers, fidèles à leurs vœux, avaient regagné la Terre sainte.

En 1139, à Liesse, le gros œuvre est achevé, le pèlerinage commence. Bientôt, les grâces et les miracles promis par Notre-Dame s’y multiplient, innombrables, extraordinaires. En 1146, le recouvrement des deux petits garçons du sire et de la dame de Beaugency, enlevés presque sous les yeux de leurs domestiques par un pervers, et que l’on chercha des mois durant sans résultat, convaincus de leur mort, après que leurs parents, accompagnés du roi Louis VII, leur cousin, soient allés à Liesse, crée entre le nouveau sanctuaire et la famille royale de tels liens que l’usage se prendrait, au retour du sacre, à Reims, de faire le détour pour vénérer l’image miraculeuse que les fidèles surent soustraire aux violences huguenotes. Au XVIIe siècle, Marie de Médicis fait, afin de faciliter le passage des carrosses de la reine, des princesses et de leur suite, agrandir et paver la route y conduisant, qui prend dès lors le nom de Chemin des Dames.

Les foules se pressent à Liesse et les miracles se poursuivent, de guérisons, de conversions, de protections. Cela irrite philosophes et adeptes des Lumières qui ricanent de cette "légende" invraisemblable et des dupes qui croient à la "statue apportée par les anges", à la princesse et aux chevaliers miraculeusement transportés d’Égypte en France. Déconcertée, l’Église n’ose plus guère parler de cette histoire trop belle pour être vraie. Et pourtant…

Les trois frères de Heppes chevaliers de l’Hôpital ? Ils ont bel et bien existé. Tout comme le sultan El Hazan et sa fille. Certes, la statue n’est pas aussi belle qu’on le prétendait et l’attribuer aux anges était exagéré mais son travail maladroit pouvait bien être le fruit des efforts de Jean de Heppes, la main guidée par le Ciel. D’ailleurs, elle est en cèdre, ce qui confirme ses origines orientales. Quant au miracle de "téléportation" qui a ramené les fugitifs en sûreté, et fait se tordre de rire M. de Voltaire, l’Église en observerait à l’avenir des cas tout aussi inexplicables, à commencer par ceux du Père Lamy ou de Mère Yvonne-Aimée de Malestroit, échappée des geôles de la Gestapo. N’importe, l’on n’ose plus trop en parler. Les miracles continuent quand même, au point que des esprits forts, dans les années 1770, décident d’en finir une bonne fois pour toutes avec "l’idole", en la faisant sauter. L’attentat échoue, par la faute d’un pauvre pèlerin aux allures de mendiant qui a la révélation de la présence de la bombe sous la statue et permet de la désamorcer. Il s’appelait Benoît Joseph Labre.

Tout avait manqué pour se débarrasser de Notre-Dame de Liesse qu’une force mystérieuse paraît protéger. Alors, au début de la Terreur, le boulanger de la commune, un certain Lenoir, nom prédestiné…, s’introduit de nuit dans le sanctuaire avec deux complices, s’empare de la statue miraculeuse et la jette dans son four… Ainsi disparaît l’image apportée du ciel par laquelle tant de grâces avaient été accordées à la France. Un petit garçon, seul témoin du sacrilège, ose se glisser dans le fournil et, pieusement, il recueille les cendres. Quand le culte catholique reprendra, ces pauvres restes sont solennellement déposés au pied de la statuette en plâtre colorée qui remplace la vénérable image. En 1857, les jésuites, qui desservent le sanctuaire, lui substituent la Vierge à l’Enfant en majesté que l’on voit aujourd’hui et qui reçoit, le 18 août, le couronnement. Contre toute attente, Liesse, bien que très proche de ce Chemin des Dames qui entrerait tragiquement dans l’Histoire, traverse la Grande Guerre sans dommages importants. Les Poilus qui combattent dans le secteur se souviennent avoir en maintes occasions éprouvé la puissante présence de la Reine des cieux et sa bienveillance. Ils contribueront, la paix revenue, à maintenir un temps le pèlerinage. Puis, peu à peu, Liesse s’endormit dans une certaine indifférence, comme si sa trop belle histoire n’intéressait plus. Et pourtant… Une princesse musulmane venue en France porteuse d’une image de la Mère du Très Haut qui, lui apparaissant, lui assure que, par son intermédiaire, une source de grâces inépuisable ruissellerait sur son "royaume de prédilection", est-il message plus porteur d’espoir et de promesses pour notre temps ?

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