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Attendre un enfant, cette expérience à la fois banale et exceptionnelle

Happy Young Pregnant Woman on the Beach at the Atlantic Ocean
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Mathilde de Robien - publié le 28/05/21 - mis à jour le 14/11/23
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Philosophe et mère de cinq enfants, Laurence Aubrun livre une réflexion philosophique originale et accessible sur la grossesse et cette mystérieuse relation qui unit une mère et son enfant en elle. Entretien.

En refermant le livre de Laurence Aubrun, Enceintes (Editions Emmanuel), le lecteur réalise à quel point une grossesse est une expérience extraordinairement bouleversante. Loin d’une mièvre exaltation de la maternité, l’auteur s’attache à décrire, de manière sobre et émerveillée, ce qui se passe au-dedans d’une femme enceinte : cette relation inédite avec un petit être, ce décentrement de soi, cet appel au don et à la paix, cette nouvelle vulnérabilité… Elle offre ainsi aux femmes la chance de prendre conscience de cet immense mystère qu’est l’enfantement et aux mères l’occasion de se souvenir de ce qu’elles ont vécu. Laurence Aubrun, mariée et mère de cinq enfants âgés de 9 à 18 ans, ancienne élève de l’ENS Ulm et agrégée de philosophie, enseigne la philosophie dans un lycée public en Normandie.

Aleteia : D’où venait cette envie de réfléchir et d’écrire sur la grossesse ?
Laurence Aubrun : Cela remonte à longtemps, j’ai commencé à écrire il y a huit ans, en 2013. Je portais des questions depuis ma première grossesse. Une des choses qui m’a profondément marquée, et qui est au centre du texte, c’est la relation particulière, l’étrange altérité, que découvre la femme enceinte en portant son enfant. J’ai réalisé que les philosophes n’avaient pas remarqué qu’une femme pouvait vivre une rencontre très particulière dans la maternité : une rencontre qui se passe à l’intérieur de son propre corps, une expérience fascinante et déstabilisante. Et j’ai été étonnée que cette expérience à la fois banale et exceptionnelle passe inaperçue en philosophie.

Vous invitez à une prise de conscience de ce qui se passe en soi pendant la grossesse. Pourquoi est-il bon de créer cette première relation avec l’enfant ?
Il n’y a pas tant besoin de « créer » cette relation, elle se fait toute seule, elle s’impose à nous. Habituellement dans une rencontre, nous avons une part de liberté dans la manière dont nous abordons l’autre. Mais lors d’une grossesse, la rencontre se passe à l’intérieur de soi, on ne peut pas l’esquiver ! La situation impose d’entrer en relation avec ce petit enfant dans une forme de dé-maîtrise, de passivité assez déconcertante. Je fais également l’hypothèse que cette relation est essentielle aussi pour l’enfant. Quelles que soient les modalités de la relation ! Il ne s’agit pas d’y penser tout le temps. Quoi que la mère fasse, l’enfant est à l’écoute des stimulations, il est réactif à ce qui se passe autour de lui… Tout ceci le met déjà en relation avec sa mère et avec le monde qui l’entoure.

A ce stade de développement, peut-on vraiment parler de relation ?
En tant que philosophe, je fais attention au choix des mots, et en effet la question mérite d’être posée dans la mesure où dans cette relation, il n’y a pas de distance. Et l’enfant dans le ventre de sa mère n’a pas le même niveau de conscience et de perception. Il y a donc une forte dissymétrie entre d’un côté, un petit être en formation, et de l’autre, la mère. Je pense néanmoins que l’on peut parler de relation humaine,- les psychiatres et les pédiatres le confirment -, bien qu’elle présente des caractéristiques différentes des relations habituelles.

En quoi la maternité est-elle une école du don ? Vous allez même jusqu’à évoquer la notion de sacrifice ?
Sacrifice est un mot difficile mais on l’entend à propos de la maternité. Je pense notamment à ces mères qui ont fait le buzz sur internet en parlant de leur regret d’avoir eu un enfant. J’entends derrière ce phénomène que la maternité impose des sacrifices que l’on n’a pas forcément anticipés et qui peuvent paraître démesurés.

C’est un don particulier dans la mesure où il nous entraîne très loin dans la perte de soi.

Oui la maternité est une école du don. Dès la grossesse, il y a une forme d’impuissance, ce don se fait tout seul, il nous entraîne, nous embarque dans une aventure qui nous emmène bien plus loin que ce que l’on avait imaginé. En outre, il s’agit d’un don que l’on vit charnellement, qui s’empare à la fois de notre corps et de notre esprit ! Il y a en effet quelque chose d’excessif, dans cet envahissement. J’y vois aussi une perte pour la femme : elle perd son autonomie, la maîtrise de sa vie, la maîtrise de son bonheur. On se construit en étant au centre de sa recherche de bonheur, et puis tout d’un coup, ce décentrement nous fait découvrir que notre bonheur dépend des autres et notamment d’un tout petit être. On devient dépendante de ses enfants qu’on aime et qu’on veut protéger de tout. C’est un don particulier dans la mesure où il nous entraîne très loin dans la perte de soi et dans la recomposition de soi. On est obligée de se réinventer, de renaître à soi-même dans cette relation à l’autre. Le sens de notre existence est redéfini par cet enfant qui vient bousculer nos repères.

Outre la dépendance, un enfant nous rend extrêmement vulnérables. Comment ?
Avec la grossesse, une femme découvre à quel point l’amour la fissure, la fragilise. La société valorise souvent l’amour amoureux, l’amour durable. Mais elle ne nous prépare pas à un amour destiné à se séparer de l’être aimé. Première blessure à laquelle on ne peut pas vraiment se préparer. Certes il s’agit d’une séparation heureuse, signe d’un envol, d’un succès, mais qui ne nous laisse pas indemnes. On le vit déjà dans l’accouchement : on a vécu l’union la plus intense possible et l’enfant nous quitte. Et on a peur pour lui. Ceci nous oblige à faire confiance. Faire confiance à l’enfant, même lorsqu’en grandissant, il prend des risques. Faire confiance à la vie : ses parents ne peuvent pas tout lui donner. Faire confiance à Dieu : la foi chrétienne nous invite à croire et espérer. Toujours.

Vous observez aussi chez les mères une envie, un besoin irrépressible de paix ?
La conscience de la fragilité de nos enfants, et par conséquent celle de notre propre vulnérabilité, unit toutes les mères entre elles et fait de chacune de nous une mère universelle. Nous avons en effet une sensibilité commune : nous avons toutes envie que nos enfants soient protégés, nous avons envie de former ensemble un rempart contre la violence du monde. Il résulte du vécu de la maternité un sens aigu du respect de la vie, de l’enfance, et des autres. Chaque mère est investie d’un rôle nouveau. Gardienne de la vie, elle est appelée à préserver la paix. Son destin est en quelque sorte lié à celui des autres mères. Nous avons besoin de nous soutenir les unes les autres pour construire un monde plus paisible.

Pratique

Enceintes, La vie en soi, Laurence Aubrun, Editions Emmanuel, avril 2021, 17 euros.

En image, neuf saints à prier pendant les neuf mois de grossesse

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