Ils sont une trentaine d’hommes, alignés face à face sur deux rangs, de part et d’autre d’un chemin qui traverse une parcelle de vignes. Ils sont jeunes, vigoureux, pleins de force et pourtant leur sourire est désarmant comme celui des enfants. Certains portent la tonsure, signe ancestral de leur renonciation au monde. Ils sont revêtus de l’habit monastique traditionnel. Ce sont des moines bénédictins de l’abbaye sainte Madeleine du Barroux dont on aperçoit le clocher de l’église, au loin, sur les hauteurs qui dominent les vignes. A leurs pieds, des caisses vides qui se rempliront dans un instant avec les premiers raisins vendangés, des clairettes gorgées de soleil.
En regardant le ciel, les moines ont dessiné les jardins de la terre.
Pour l’heure, les moines se recueillent, ils chantent la louange de Dieu, avant de cueillir sous le soleil provençal, les fruits nouveaux de la vigne, que le beau temps a amené à maturité. "Ora et labora", ils travaillent dans le silence avec des gestes précis et une cadence régulière qui ne faiblit pas. Ils lèvent par instant les yeux pour remercier Dieu de tant d’abondance. Le dur travail de la vigne assure leur subsistance, il leur permet aussi de gagner une marche vers le ciel. En contemplant cette scène, me revient en mémoire une phrase de Dom Gérard, le fondateur de l’abbaye : "En regardant le ciel, les moines ont dessiné les jardins de la terre." Ici tout est à sa place, dans la tranquillité d’un ordre qui porte à la joie et à la paix : des rangs de vignes encadrés par des murs des pierres sèches côtoient des champs d’oliviers et une garrigue où cohabitent les genévriers, les romarins, les chênes verts, les chèvrefeuilles et le thym.
L’abbaye romane s’inscrit dans le paysage comme l’un de ses éléments naturels. L’esthétique minérale des élégantes Dentelles de Montmirail et du majestueux Mont Ventoux complètent le tableau pour lui donner un accent intemporel. Un parfum d’éternité monte de la terre. Nous sommes à l’endroit même, où Clément V, le premier pape d’Avignon, a planté la première vigne pontificale au début du XIVe siècle. 700 ans plus tard, rien ne semble avoir changé comme si ce lieu était préservé de la fureur du monde.
Les moines ont renoué avec une tradition millénaire qui associait, dans un même labeur, les hommes de Dieu avec leur environnement paysan. En proposant aux vignerons voisins de s’associer à eux pour faire ensemble de grands vins et leur assurer ainsi des revenus décents, ils ont restauré l’âme de ces domaines monastiques qui créaient autour d’eux une immense poétique humaine contre laquelle rien ne pouvait prévaloir.
Ils ont ouvert une voie de la charité, "Via Caritatis", qui donne son caractère aux vins qu’ils produisent. Une formule, que l’historien médiéval Georges Duby appliquait à l’art cistercien, convient parfaitement pour en définir la nature : "Il atteint au plus complexe par le plus simple, à l’irrationnel par la raison et à la douceur par la puissance". Vox rouge est un vin charmeur, ample, puissant, rond et charnu. C’est une quintessence de fruits rouges, une explosion de fraîcheur et de pureté ; Pax rouge est ample et généreux. Il allie l’élégance, le caractère et la finesse, avec des tannins onctueux fondus dans un bouquet d’épices, de fragrances mentholées et de caramel ; Lux rouge est un vin voluptueux qui exprime à la fois la suavité monastique et la majesté du paysage dans lequel il a été élevé. Lux rosé par sa subtilité et ses arômes envoutants de pétales de rose est un chef d’œuvre ; Lux blanc, marquée par les fleurs blanches et l’amande, associe la densité à la finesse.
Ces micro-cuvées nées d’une pépite vieille de 700 ans sont disponibles en France mais aussi dans d'autres pays comme les États-Unis. Une chose est sûre : de leur balcon céleste, les moines vignerons de tous les temps se réjouissent avec nous.
PRATIQUE : Pour se procurer les vins Via Caritatis, rendez-vous sur leur site de ventre en ligne : www.via-caritatis.com
La mémoire du vin, entre héritage et transmission, Général Marc Paitier, Mareuil éditions, février 2019