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Les églises, ces lieux sacrés où la beauté se donne à tous

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Benoist de Sinety - publié le 18/04/21
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Les églises sont les seuls lieux ouverts à tous où la beauté se contemple en nous faisant lever les yeux hors de nous-mêmes.

Les images défilent d’une famille en deuil, avançant lentement, gravement, parmi la foule de soldats immobiles et muets. Des coups de canon, le glas, une musique funèbre : le soleil est glaçant. Une vieille dame que le monde découvre courbée et seule. Une famille d’hommes dont les plus vieux semblent les plus émus. Des lectures dites s’une voix grave et ennuyeuse et, soudain, éclate comme d’un monde parallèle le chant du Jubilate de Benjamin Britten.

Quatre voix, au nom des millions de personnes qui devant leurs écrans ne savent pas toutes ce qu’elles font là, quatre voix viennent faire résonner aux oreilles du monde entier que la musique et le chant, que l’art en fait, est sans doute ce qui nous rend capable de vivre en nous faisant lever les yeux hors de nous-mêmes.

Notre Église n’est pas figée dans la mémoire de son histoire. Elle est irriguée par le souffle de l’Esprit.

Il n’y a plus aujourd’hui que les églises qui permettent aux vivants, dans nos pays, de se sentir un peu moins seuls. Elles sont les seuls lieux ouverts à tous, où le croyant peut formuler une prière, où tout un chacun peut contempler, dans la pierre, la peinture, la sculpture, mais aussi par la musique et par le chant, que notre origine et notre destinée se trouve dans les cieux. Il serait injuste et pour tout dire contraire à la charité que les seuls bénéficiaires de ces havres de culture en soient les pierres vivantes. Il y eut un temps, il y a un an, où les baptisés se sont donnés avec enthousiasme et inventivité pour secourir les plus fragiles d’entre nous : distribution de repas, colis alimentaires, lieux d’écoute, accompagnements de toutes sortes, hébergements même.

N’est-il pas maintenant plus que temps d’inviter nos frères confinés à se sentir chez eux lorsqu’ils entrent sous nos clochers ? À pouvoir y découvrir la beauté de ce qui y a été édifié au fil des siècles et de l’Histoire, mais surtout qu’ils puissent goûter à l’expression de cette culture qui se trouve aujourd’hui évacuée sans vergogne de notre quotidien ? Un lieu où l’on reconnaît qu’il est possible de se rendre pour y vivre une célébration religieuse ne peut-il pas aussi, dans les mêmes conditions, avec les mêmes précautions, être un lieu où l’on écoute un orgue jouer, ou un violon, ou une flûte ? Où l’on écoute un comédien dire des vers, et pourquoi pas, même, de la prose ?

Le dialogue entre l’Église et les artistes est souvent tumultueux, sans doute parce qu’il y a trop de ressemblance entre les deux clergés qui en composent l’affiche. Je me souviens de cette histoire rapportée par un curé remarquable qui prenait soin, alors, d’une paroisse d’un quartier littéraire. Un comédien célèbre comptait parmi ses paroissiens les plus fidèles, ce qui ne l’empêchait pas chaque dimanche d’arriver à la messe avec dix bonnes minutes de retard. Ce même comédien jouait souvent dans un théâtre voisin du clocher. Il avait coutume d’offrir à son curé, à chaque nouvelle pièce, un billet pour qu’il puisse venir y goûter les joies d’une belle soirée. L’un de ces soirs, le curé se présenta aux guichets du théâtre, quelques minutes après que le rideau ne se soit levé. L’ouvreuse lui signifiant qu’il devrait attendre l’entracte pour accéder à son siège, s’entendit répondre par l’ecclésiastique inspiré : "Mademoiselle (à l’époque on savait encore s’adresser à ses interlocuteurs), M. Untel arrive à chacune des représentations que je donne avec dix minutes de retard, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas en faire autant à mon tour !" On lui ouvrit alors la porte de sa loge.

Alors que beaucoup ne savent plus à quel saint se vouer et que nos dirigeants, dans l’ensemble des pays de notre continent et sans doute ailleurs aussi, semblent profondément désorientés sur les lendemains et autres jours d’après, il serait effrayant que les chrétiens soient les seuls à bénéficier des églises : la célébration de la foi ne va-t-elle pas de pair avec la bonne nouvelle d’une humanité appelée au salut ? Notre Église n’est pas figée dans la mémoire de son histoire. Elle est irriguée par le souffle de l’Esprit, qui est souffle de vie. Et c’est à ce souffle, précisément, qui inspire aussi l’art et la culture, que nous devons permettre de retentir dans nos temples de pierres. Afin qu’il aide chacun à envisager l’Espérance que nous sommes faits pour plus grand que ce que nous pensons être.

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