Toute la journée, Marie a marché, couru, pleuré, accompagné son Fils de loin. Elle est épuisée, elle a entendu le cri de Jésus remettant l’esprit, alors qu’elle se tenait, debout, au pied de la Croix. La prophétie de Syméon lors de la présentation au Temple de Jésus enfant s’est accomplie : un glaive a transpercé le cœur de Marie. Et le cœur blessé de Marie, transpercé d’un glaive, s’unit au cœur de Jésus, transpercé d’une lance.
De ce cœur de Jésus en Croix, Marie a peut-être reçu sur elle quelques gouttes du sang et de l’eau qui s’en échappaient pour faire naître l’Église. L’Évangile précise : du côté transpercé de Jésus coulent du sang puis de l’eau. Comme si dans son amour pour nous, le cœur de Jésus, après avoir tant saigné, voulait encore pleurer. Comme si le sang versé pour la justice s’effaçait devant le torrent des larmes de la miséricorde.
"Près de la Croix se tenait Marie, sa mère". Voici qu’on laisse la Vierge Marie prendre entre ses bras le corps mort de son fils, avant de l’emmener au tombeau. Marie est épuisée, elle avise un rocher, là, au pied du Calvaire, et c’est là qu’elle s’effondre pour s’asseoir et recevoir entre ses mains le corps du Christ. Regardons la scène de plus près : le rocher soutient Marie, qui soutient Jésus ; la pierre angulaire, le rocher d’où jaillit la source de vie, soutient Marie qui soutient Jésus. L’œil de la foi comprend : Jésus soutient Marie qui soutient Jésus. Dans ce tableau, nous apprenons que c’est la grâce du Christ qui porte la foi du croyant pour l’aider à recevoir le Christ lui-même.
Marie est là, assise sur ce rocher, son enfant mort entre les bras. À dire vrai, c’est un homme qu’elle a entre ses bras, ou c’était un homme : ce visage tuméfié, ce corps meurtri, ce cadavre, c’était un homme, mais pour Marie c’est toujours son enfant. Et dans ses yeux brouillés de larmes, dans sa mémoire bouleversée, Marie croit voir dans ce corps mort et froid, recouvert à la hâte d’un linceul, son bébé vivant, emmailloté de langes, dans la crèche de Bethléem. Transportée en esprit à la crèche, elle se souvient : de ce petit enfant qu’elle contemplait alors, quelle serait la vocation ?
"Près de la Croix se tenait Marie, sa mère." L’ange l’en avait avertie, le vieillard Syméon l’avait confirmé : cet enfant était le fils de Dieu, dont le destin devait passer par la souffrance, pour le salut du monde. Cela, Marie l’a su dès le commencement. Dans la foi, elle a su d’emblée que l’enfant Jésus avait reçu d’elle tout de sa nature humaine, mais qu’il était une personne unique parce qu’il possédait également, et depuis toujours, la nature divine. Ce bébé rose et vagissant, c’était Dieu, venu dans le monde pour sauver l’humanité de la mort et du péché. Quant à la nature, Marie n’était pas l’unique auteur de la vie de son enfant. Quant à l’éducation, quel paradoxe ! Songez : Marie a fait faire à Jésus ses premiers pas, sur la terre qu’Il avait lui-même créée ! Marie a appris à Jésus à parler, lui a soufflé ses premiers mots, à Lui qui est la Parole éternelle du Père, le Verbe fait chair ! Marie a appris à Jésus comment prier, Lui qui est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes, le Grand-Prêtre par excellence élevé au-dessus des Cieux !
"Près de la Croix se tenait Marie, sa mère." Au Calvaire, Marie est la seule à croire que son Fils est mort mais va ressusciter. Mais sait-elle que la vocation de Jésus remonte à beaucoup plus loin, avant sa naissance terrestre, avant même le péché originel ? Sait-elle que de toute éternité, le Fils a reçu du Père la mission de conférer sa grâce aux hommes, par l’Esprit-Saint, pour les faire participer à sa divinité ? Sait-elle que, par Jésus et en lui, le Père veut faire de nous tous ses fils adoptifs ? Sait-elle, en un mot, que Dieu s’est fait homme en Jésus, pour que l’homme soit Dieu ? Ce dessein éternel, l’a-t-elle pressenti ? L’Évangile reste muet. Je crois qu’elle en a eu au moins l’intuition.
Dans la relation entre Marie et son enfant au Calvaire, dans la piéta, c’est toute notre vocation chrétienne qui se dessine en ce jour saint à l’ombre de la Croix.
Alors qu’elle tient le corps de son enfant mort dans ses bras, cette foi encore très obscure ne supprime pas sa souffrance : qu’un enfant puisse mourir avant ses parents est toujours un scandale, toujours une injustice. Mais cette foi dans le cœur de Marie fait naître une espérance : tout acte d’amour, toute souffrance offerte, toute bonne action, acquiert désormais un poids d’éternité, en étant associé à l’unique sacrifice de Jésus en Croix. C’est le mystère de la charité que Marie contemple dans ce corps qu’elle tient, étendu sur ses genoux. Marie tient le corps du Christ sur ses genoux, elle tient donc l’Église au creux de ses bras maternels. Mystère de foi, d’espérance et de charité, mystère de la Rédemption et de la divinisation, mystère de l’Église ; dans la relation entre Marie et son enfant au Calvaire, dans la piéta, c’est toute notre vocation chrétienne qui se dessine en ce jour saint à l’ombre de la Croix. Puissions-nous, comme Marie, méditer toutes ces choses en notre cœur, pour que ce cœur devienne un jardin digne d’accueillir la Résurrection du Sauveur.