Fondateur et dirigeant pendant 26 ans de Nameshield, une société dont l’ambition est de protéger l’identité numérique des marques, Jean-Paul Béchu, 60 ans, a vendu son entreprise le 27 décembre dernier, non pas aux fonds d’investissement qui le courtisaient, mais à l’ensemble de ses collaborateurs. Une manière de vivre sa foi chrétienne jusque dans les affaires.Nameshield. Une entreprise française au rayonnement international, peu connue du grand public, et pourtant utilisée quotidiennement par de nombreux internautes français en tant que « registrar » (terme anglais désignant un bureau d’enregistrement de noms de domaine). Experte en protection et valorisation des marques et en gestion de noms de domaine pour de grandes marques internationales, Nameshield a été créée en 1994 par Jean-Paul Béchu, entrepreneur visionnaire et très investi dans l’engagement sociétal. Un projet fou pour l’époque mais ô combien avant-gardiste. En 1994 en effet, rares sont ceux qui se souciaient des enjeux d’Internet. Ce n’est qu’en 1996 qu’il se développe fortement avec 36 millions d’ordinateurs connectés. La bulle spéculative de l’année 2000 est un cap difficile pour l’entreprise, qui ne commence à générer des bénéfices qu’en 2003. Aujourd’hui, Nameshield, forte de 80 salariés, est reconnue dans le monde entier et compte parmi ses clients pas moins de 13 entreprises du CAC 40.
Le 13 décembre 2019, Jean-Paul Béchu annonce à ses collaborateurs son désir de leur revendre l’entreprise. Une idée qui a germé au fur et à mesure qu’il se faisait courtiser par des fonds d’investissement : « J’ai eu comme une révélation. Ce n’était pas possible ! Je n’avais pas monté cette entreprise pour qu’elle tombe entre les mains de personnes qui n’ont pas de considération pour le capital humain », confie-t-il à Aleteia. Grâce au travail considérable d’un petit groupe de cinq collaborateurs chargés d’étudier la faisabilité du projet, aujourd’hui, 100% des collaborateurs sont associés.
Une cession hors norme
Malgré quelques réticences et oppositions initiales, le projet a rencontré un vif succès. Dès l’annonce de la vente, chaque collaborateur a été interrogé sur ses souhaits et amené à voter dans un climat d’intelligence collective. Les banques, avocats et experts-comptables ont suivi avec enthousiasme, la banque d’origine a même donné son accord pour porter seule le projet à travers un crédit vendeur.
En revendant ses parts à ses propres collaborateurs, Jean-Paul Béchu a cédé son entreprise sur des bases qui n’avaient rien à voir avec les valorisations proposées par les fonds d’investissement. Plusieurs motivations à cela. La première, permettre à ses collaborateurs d’inventer un nouveau projet d’entreprise, pour répondre aux besoins de la société de demain. La seconde, stratégique, est d’agir en faveur de la souveraineté numérique : éviter que les datas détenues par Nameshield ne tombent entre des mains étrangères, ce qui pourrait déstabiliser leurs entreprises-clientes.
Enfin, en tant que chef d’entreprise chrétien, il aspire à prendre en considération le capital humain – plutôt que le capital tout court -, et à contribuer au partage des richesses. Il ne cache pas non plus le lien entre son enfance difficile et cette vente d’entreprise hors norme. En creux, l’expérience de l’abandon. Abandonné à l’âge d’un an, recueilli par des familles d’accueil qui n’avaient rien d’accueillant, il est devenu un jeune “voyou”, jusqu’à sa rencontre avec une dame âgée et isolée qui a su cicatriser ses blessures. Mais « l’abandon laisse des traces », témoigne-t-il. A l’heure de céder ses parts, sans doute a-t-il vu l’occasion de se comporter comme un vrai chef de famille, n’abandonnant pas les siens et leur donnant les moyens de prendre un nouvel envol.
Un engagement sociétal fort
Ce que Jean-Paul Béchu a également su transmettre à ses collaborateurs, c’est le souci des autres, des plus démunis, qui se traduit par un engagement social fort. En 2012, il a créé avec son épouse Sandrine « Esperancia », un fond de dotation destiné à financer des projets associatifs visant à accompagner les enfants et les jeunes défavorisés. Un modèle économique et social novateur dans la mesure où il propose aux entreprises de financer ces projets, non pas en faisant un chèque mais en donnant des actions à Esperancia. Ainsi, la récurrence des dividendes permet d’accompagner les associations sur le long terme. Or Nameshield verse 1% de son chiffre d’affaires annuel et a cédé 15% de ses parts à Esperancia, témoignant ainsi de la volonté de ses collaborateurs à vivre un projet entrepreneurial avec une vocation sociale importante. Un dispositif qui donne du sens à leur travail et qui contribue aussi à l’attractivité de Nameshield. En effet, Jean-Paul Béchu en a été le témoin ces dernières années, les clients sont sensibles aux entreprises dotées d’un véritable engagement social.
Jean-Paul Béchu témoigne de son parcours personnel et professionnel hors du commun dans son livre autobiographique Une revanche sur la vie, le parcours d’un bon à rien, Artège, mars 2019.
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