Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin demande-t-il aux croyants de professer que Dieu n’est pas Dieu ? Si tel est le cas, il prend le risque de créer le séparatisme qu’il veut combattre. « Nous ne pouvons plus discuter avec des gens qui refusent d’écrire sur un papier que la loi de la République est supérieure à la loi de Dieu » : cette déclaration de Gérald Darmanin sur France Inter, lundi 1er février, au premier jour de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi sur les séparatismes, met en lumière l’incompréhension qui mine, en France, les rapports entre l’État et les religions. Davantage qu’un aveu d’échec, elle est la prophétie auto-réalisatrice des séparatismes qu’elle est censée combattre.
Loi supérieure
« La loi de la République est supérieure à la loi de Dieu » : cette assertion révèle l’incapacité du ministre chargé des cultes à penser ce que représente la notion de Dieu pour les croyants. La notion de Dieu implique celle de principe ultime : Être suprême, Absolu (c’est-à-dire délié des lois), Créateur tout-puissant, Souverain Juge (etc.), Dieu est, pour reprendre la définition d’Anselme de Canterbury, ce dont rien de plus grand ne peut être pensé. Dès lors, demander au croyant de placer au-dessus de ce qui est ultime par définition quelque chose d’autre, apparaît comme une profonde absurdité, puisqu’il s’agirait alors de professer que Dieu n’est pas Dieu — une proposition logiquement indéfendable, sauf à présupposer la non-existence de Dieu.
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« Nous ne pouvons plus discuter » : ainsi, pour avoir voix au chapitre dans le débat public et politique, le croyant est-il sommé de laisser sa foi à la porte, et de sacrifier au laïcisme d’État qui n’est autre qu’un athéisme pratique. Si elle suit une telle logique, c’est la loi républicaine elle-même qui crée le séparatisme, en excluant par principe toute possibilité de croyance en Dieu au sein de la République. De la sorte, la loi « confortant les principes républicains » au lieu de combattre les séparatismes ne fera que les créer, les renforcer, voire les légitimer aux yeux des croyants. Le gouvernement semble vouloir renouer avec l’antique tentative de la Rome impériale d’intégrer dans son panthéon toutes les nouvelles croyances à la condition que celles-ci s’agenouillent devant le divin Auguste — on sait quel fut l’échec de Rome face à des martyrs chrétiens autrement plus pacifiques que les terroristes islamistes d’aujourd’hui.
La possibilité du dialogue
« Nous ne pouvons plus discuter » : aveu d’échec et d’impuissance. On ne confisque jamais la parole que lorsqu’on n’a rien à répondre, lorsqu’on se sait inapte à réfuter les arguments adverses. Incapable de penser Dieu et la foi, la classe politique dans son ensemble a clos toute discussion avec les croyants, radicalisés ou non. Elle dirige pourtant un pays où les croyants traditionnels, les catholiques, ont appris à vivre sous la loi de la République sans rien renier de leur foi en Dieu. Si cet apprentissage fut le fruit d’une histoire longue et parfois douloureuse, ces croyants pensent une théologie qui considère la loi divine non comme concurrente du droit positif, mais comme relevant d’un ordre distinct quoique supérieur. Certes la théologie catholique, dotée des concepts de nature et de grâce, diffère profondément des théologies de l’islam. Toujours est-il que les catholiques témoignent du fait qu’un dialogue rationnel avec la religion est possible, et que l’on peut vivre la radicalité de la foi en Dieu tout en vivant en paix avec la République.
Statolâtrie
« La loi de la République est supérieure à la loi de Dieu » : au-delà de toute considération religieuse, proclamer la suprématie de la République sur quelque Dieu que ce soit, revient tout simplement à instituer une idolâtrie de l’État, en substituant à l’idée de Dieu celle de République, et en faisant de celle-ci l’alpha et l’omega de la vie sociale. Cette « statolâtrie » (pour reprendre le terme du pape Pie XI, dans l’encyclique Non abbiamo bisogno en 1931) a pour effet d’instaurer une toute-puissance de l’État sur les citoyens en tant qu’individus et sur les entités sociales dans lesquels ils vivent.
Exiger du simple citoyen qu’il sacralise le droit positif comme principe et fondement de la société revient à lui demander de sacrifier sa liberté de conscience.
En effet, d’une part, exiger du simple citoyen qu’il sacralise le droit positif (pourtant évolutif, changeant…) comme principe et fondement de la société revient à lui demander de sacrifier sa liberté de conscience. D’autre part, l’État, se considérant comme le principe de toute entité sociale, s’arroge le droit de créer, de transformer ou de supprimer l’ensemble des autres structures sociales sur lesquelles il repose. Ainsi, l’interdiction de l’instruction en famille, portée par la loi contre les séparatismes, répond-elle aussi à cette tentative d’effacement de la famille dans son rôle éducatif et à sa substitution par l’État.
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