Certains jours, le chrétien se demande s'il vaut la peine de suivre les recommandations difficiles du Christ, par exemple prendre sa croix, être prêt à tendre l'autre joue, accepter de bon cœur les tuiles qui lui tombent sur la tête, etc. Le croyant a beau connaître les raisons spirituelles, théologiques et psychologiques qui militent en faveur de la pertinence et de la justesse des paroles difficiles de Jésus, il lui arrive par moment de regimber, voire de passer outre et de choisir des voies plus faciles. Comment résister à la tentation d'emprunter le chemin plus aisé de l'édulcoration de l'Évangile ? Comment éviter la compromission avec les fausses promesses de bonheur et de satisfaction immédiate de nos désirs que nous fait miroiter la société de consommation ?
En fait, comme le disait saint François de Sales, on n'attire pas les mouches avec du vinaigre. Cet adage vaut également pour les chrétiens. Dieu, qui nous a créés, sait pertinemment que nous sommes tous à la recherche du bonheur. L'essentiel consiste à chercher ce bonheur là où il se trouve véritablement ! C'est à ce niveau que se situe la différence entre la doctrine chrétienne et les simulacres de plénitude que nous vendent les sectes ou certaines idéologies. Rien de tel que de toucher et goûter la joie du Christ pour rester fidèle à sa Parole et ses préceptes.
Car la raison et l'intellect ne suffisent pas toujours à nous en persuader. Aussi avons-nous besoin d'appuyer notre résolution de suivre Jésus sur une expérience de joie profonde que nous avons éprouvée à son contact, de telle sorte qu'au milieu des difficultés de l'existence, nous percevions la lumière au bout du tunnel - cette lumière qui couronnera et récompensera nos efforts, et dont la force de motivation est proportionnelle à l'intensité de la joie qu'elle nous a déjà procurée.
Goûter les joies du monde sans déclin
Telle est une des plus grandes vertus du dimanche. Le premier jour de la semaine, celui de la Résurrection, la plus grande fête de notre religion, est le jour de l'éternité. En effet, ce jour-là, Jésus a accosté au Royaume éternel en se levant du tombeau. Dans son sillage, ses disciples sont invités eux aussi à goûter les joies que le Père nous dispense d'ores et déjà. Le dimanche constitue un avant-goût de la félicité qui nous attend. Or, justement, pour tenir dans les épreuves et les lassitudes du quotidien, nous avons besoin d'un but qui fouette notre détermination. Le jour du Seigneur représente ce but. Durant la semaine, il est donc recommandé de faire mémoire de lui afin de garder le cap de notre foi et de marcher héroïquement dans la voie de l'Évangile.
Il n'est pas inopportun de prier Dieu, le dimanche, de nous donner la grâce d'éprouver la joie du paradis.
En tant que « jour du Seigneur », le dimanche est « à part », c'est-à-dire qu'il est saint comme Dieu. Mais il est séparé des autres jours de la semaine pour une autre raison : en lui, nous pouvons déjà goûter les joies de notre condition future. Cependant, afin de savourer le monde futur, encore faut-il le demander. C'est pourquoi il n'est pas inopportun de prier Dieu, le dimanche, de nous donner la grâce d'éprouver la joie du paradis, de Lui demander que le mystère du Jour sans fin s'actualise dans notre vie présente durant la journée. Bien sûr, cette expérience sera vécue dans les limites qui sont les nôtres ici-bas. Toutefois, il n’existe pas de raison que nous soyons déboutés de notre requête. L’Esprit saint, qui nous a été donné comme arrhes de notre héritage (Ep 1, 13 ; 2 Co 1,22), lui qui vient de l’éternité divine, nous introduira alors, temporairement, dans notre condition future. Dans l'Esprit qui a ressuscité Jésus, chaque dimanche sera ainsi vécu comme une fête d'initiation à la joie qui ne connaîtra pas de fin.
Le chrétien est appelé à vivre le jour du Seigneur comme la fête de son entrée dans le Royaume. Voilà qui permet de relativiser les sacrifices consentis les autres jours de la semaine ! Bien plus, le chrétien discerne, dans les efforts qu'il accomplit dans son existence ordinaire, les étapes nécessaires pour parvenir au salut éternel. En effet, nos « actes nous suivent » dit le livre de l’Apocalypse (Ap 14,13). C’est avec eux que nous franchirons les portes de la Jérusalem céleste. Si nous avons eu un avant-goût de la joie à y résider, nous serons alors plus enclins à être fidèles, durant les jours ordinaires, à suivre les préceptes du Christ, à vivre selon l’Evangile. Le souvenir du dimanche précédent sera un précieux stimulant pour accepter les contraintes des jours ternes et lancinants et à... pardonner à notre prochain !
Témoins devant nos frères
Pensons à ceux qui n’ont pas la chance de connaître le Christ. C’est vers eux que nous sommes envoyés en ambassade. Notre témoignage est d’autant plus crédible que nous partageons leur condition. Le disciple du Christ ne peut se faire l’apôtre de la joie dominicale que s’il est éprouvé en toute chose comme ses frères, que s'il ne possède pas de passe-droit qui le dispenserait des épreuves communes. La force d’attraction du dimanche transparaîtra d’autant mieux en lui qu'il est soumis au même régime que les autres ! Nous ne sommes pas chrétiens seulement pour nous-mêmes. Pareillement, Dieu nous fait goûter les joies du monde futur afin que nous soyons des signes de la joie dominicale au milieu des hommes. De la sorte, le monde saura que l’allégresse n’est pas antinomique avec la sainteté. Si la mise à part du dimanche ne devrait servir qu’à délivrer cet enseignement, elle serait déjà une bénédiction pour les hommes.