La crise des scandales sexuels dans l’Église a mis en évidence la nécessité de la pratique de la correction fraternelle. Pour avoir oublié que l’institution ecclésiale ne tirait pas sa sainteté d’elle-même mais de Dieu, certains responsables se crurent obligés de mentir par omission. Le scandale qui en résulta entrave encore aujourd’hui la mission de l’Église. La correction fraternelle n’est pas seulement une règle destinée à assurer le bon fonctionnement d’une communauté, religieuse ou laïque. Elle constitue d’abord une authentique marque d’amour. Avertir un frère ou une sœur en Christ qu’il se fourvoie, que l’acte qu’il vient de poser est contraire à la morale et à l’édification du Royaume ainsi qu’à la consolidation de son être intérieur, représente une preuve d’intérêt pour sa destinée surnaturelle. En avertissant mon coreligionnaire qu’il prend une mauvaise voie, je lui témoigne mon attachement.
Voilà pourquoi ceux qui tentèrent de dénoncer les crimes d’abus sexuels dans l’Église n’avaient pas pour dessein de ternir la réputation de l’institution, mais plutôt de la purifier. Hélas ! ils furent peu nombreux, à l’intérieur des structures ecclésiales, à porter le fer de la vérité sur la plaie. Aussi l’Épouse du Christ fut-elle doublement humiliée : à la révélation des scandales des crimes sexuels vint s’ajouter le déshonneur de voir la vérité éclater par le truchement de la presse ! Parce que les responsables n’eurent pas eu la force et le courage de faire la vérité, ce furent des tiers qui firent justice aux victimes. Les clercs qui pensaient protéger l’Église en taisant les turpitudes qui se commettaient en son sein, firent un mauvais calcul. On n’embellit jamais une pièce en cachant la poussière sous le tapis, ou le cadavre dans le placard.
L’Église ne doit pas compter sur ses propres forces
Non seulement cette omerta est contraire à la justice et à la charité les plus élémentaires, mais cette méthode par omission est contreproductive. Contreproductive sociologiquement : nous vivons dans une société de la transparence où il est rare que les méfaits échappent longtemps à la vigilance médiatique, surtout ceux qui sont commis au sein d’une institution que beaucoup de journalistes ne portent pas dans leurs cœurs. Contreproductive spirituellement : laisser le mal s’enkyster dans l’organisme ecclésial ne peut que nourrir un “esprit de corps” qui n’a rien d’évangélique, en transformant insidieusement l’Église en institution qui ne compte plus que sur ses forces immanentes pour fonctionner et perdurer. Ce mauvais réflexe conduit infailliblement au cléricalisme. Or l’Église est toute relative à Dieu. Coupée de sa source divine, elle n’est rien.
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En cachant la vérité, certains responsables ne lui ont pas rendu service. Dieu a prononcé à son encontre une double justice. Justice en faveur des personnes qui eurent à pâtir des mauvais agissements de clercs envers eux, et justice contre un cléricalisme qui croyait que la beauté de l’Épouse ne dépendait que des soins esthétiques qu’elle se prodiguait elle-même, dussent-ils s’opérer au dépend de la vérité ! Or c’est le Seigneur qui embellit sa Fiancée, c’est Lui, avec notre concours bien sûr, qui construit le Royaume dont l’Église constitue déjà la présence mystérieuse parmi nous (Lumen Gentium, n. 3).
De même que corriger un frère, c’est lui témoigner de la considération, de même Dieu, en portant la lumière de la vérité sur les turpitudes de l’Église, lui témoigne l’amour qu’un époux a pour son épouse.
Ceux qui crurent devoir taire la vérité, en plus de faire preuve de déni de justice en étouffant le cri des victimes, contribuèrent de façon concomitante à humilier l’institution qu’ils prétendaient protéger contre les malveillances extérieures. En effet, par un retournement paradoxal des événements, ce fut de l’extérieur que vint la lumière qui porta au jour les turpitudes internes à l’Église ! On est puni par où l’on pèche. Par-là, le Maître de l’histoire a voulu nous enseigner que c’est Lui conduit son Épouse sur le chemin de la sainteté, et donc sur celui de la beauté. La parure avantageuse que l’Église crut pouvoir arborer dans le but de se crédibiliser aux yeux du monde, fut une marque d’idolâtrie, d’orgueil et d’injustice, car elle ne rendait pas à Dieu ce qui Lui est dû, surtout lorsque ce “lifting” s’opérait au dépend des victimes de ses crimes !
Porter un regard surnaturel sur l’Église
Au fond, ce que révèle la crise terrible des abus sexuels, c’est encore et toujours un manque de foi en Dieu de la part des croyants, clercs ou laïcs. En effet, comment les responsables ont-ils pu penser que Celui qui a fait le ciel et la terre, qui gouverne le monde, resterait impassible devant de tels agissements ? Pour qui Le prennent-ils ? Pour un “Papa” gâteux et atteint de cécité ? Mais il y a plus. Dieu est le Père de tous, et spécialement des malheureux qui crient justice vers Lui. Innombrables sont les passages de la Bible où le Tout-Puissant est appelé le protecteur de la veuve et de l’orphelin. Dieu est en priorité le Père des enfants que des clercs profanèrent. Dans ces conditions, comment aurait-Il pu laisser ses infamies se poursuivre sans rien faire pour les arrêter ? Et s’Il dût recourir pour cela à la médiation des médias, c’est bien la preuve qu’Il ne reculera devant rien pour faire justice à Ses enfants, mais aussi pour guérir son Épouse bien-aimée.
Car ne nous y trompons pas : de même que corriger un frère, c’est lui témoigner de la considération, de même Dieu, en portant la lumière de la vérité sur les turpitudes de l’Église, lui témoigne l’amour qu’un époux a pour son épouse. Ceux qui turent les crimes de l’institution le firent parce qu’ils ne portèrent pas sur elle un regard théologal, parce qu’ils ne la regardèrent pas avec les yeux de Dieu. Ils se contèrent de l’aimer humainement, à leur petite et mesquine mesure, en l’occurrence une mesure idolâtre. Un amour narcissique, en somme. Si ces responsables avaient appréhendé l’Église avec des yeux théologaux, c’est-à-dire avec les yeux de Dieu, jamais ils n’eussent toléré que le silence pût couvrir de tels crimes en son sein.
La vérité est une marque d’amour
“La sagesse commence avec la crainte de Dieu” : cette sentence apparaît souvent dans la Bible. Certains clercs, trop habitués aux subtilités spirituelles ou théologiques, l’ont dédaignée. Sans doute était-elle trop simple pour eux. Pourtant, si la crainte de Dieu avait été davantage pratiquée en Église, la vérité sur les scandales d’abus sexuels aurait éclaté plus tôt. Souvenons-nous que toute notre vertu vient de Dieu. Certes, nous collaborons avec Lui à l’édification du Royaume. Cependant, Il reste l’artisan principal du chantier. Pour avoir ignoré cette vérité et avoir voulu dissimuler au maître d’œuvre les malfaçons de l’édifice, défectuosités qui étaient le fait de responsables du chantier, les porte-paroles autorisés de l’Église ne rendirent pas service à celle-ci, pas plus qu’à sa mission, et plus largement aux hommes qui attendent inconsciemment que les chrétiens leur apportent Jésus-Christ.
En corrigeant mon frère, ce n’est pas seulement à lui que je témoigne mon amour, mais aussi à l’Église, aux hommes auxquels elle est envoyée, à tous les enfants de Dieu, et au final à… Dieu Lui-même auquel le sort de ces derniers n’est jamais indifférent !
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