Le christianisme est enraciné dans le judaïsme. Né juif, le Christ est venu accomplir la promesse faite à Abraham d’être reconnu par toutes les nations comme un père dans la foi. Cet enracinement aide l’Église à se comprendre elle-même et à relever les défis qui lui sont lancés aujourd’hui.Pourquoi réfléchir au lien entre l’Église et le peuple juif ? Le christianisme est né au sein du judaïsme : le judaïsme était et reste sa matrice dans une histoire qui forme un tout, qui n’est pas achevée et dont les premières étapes sont la source vitale.
Le lien entre judaïsme et christianisme est un lien d’origine. Jésus, les apôtres et les premiers chrétiens étaient juifs, et cela signifie davantage qu’on l’imagine d’ordinaire. En effet, nous ne pouvons saisir le sens plénier de nombreux mots chrétiens en dehors des catégories de pensée de la foi juive. Le mot « Messie », par exemple, n’a de sens qu’au sein de l’espérance transmise par la Bible. Les notions de “salut“, de “péché”, de “royaume des cieux”, etc. ne sont compréhensibles que dans le contexte et la mentalité de l’Ancien Testament. La lecture du Nouveau Testament nécessite de connaître l’Ancien, auquel il se réfère constamment et qu’il cite abondamment. La manière dont les apôtres ont reçu et interprété l’Évangile est celle de la tradition juive commentant l’Ancien Testament, et la situation n’a pas changé depuis 2000 ans pour leurs successeurs et pour ceux dont ils sont les pasteurs.
Ce lien d’origine n’est pas accidentel
L’identité juive de Jésus est parfois relativisée : “Il fallait bien qu’il vienne d’un peuple, n’importe lequel”, se dit-on alors. Au contraire, cette identité n’a rien d’accidentel : l’Alliance avec le peuple juif fait partie du plan de Dieu, dès l’origine et pour toujours. Dieu a tracé le chemin entre les hommes et lui : ce chemin, c’est le peuple juif et son histoire.
“L’Alliance avec le peuple juif fait partie du plan de Dieu, dès l’origine et pour toujours.”
Un chrétien, quel que soient ses origines, se reçoit du peuple juif, de son espérance et de ses livres. Il ne peut les remplacer par une référence à ses propres ancêtres. De même qu’il n’y a qu’une seule Bible, la référence au peuple juif est irremplaçable, ce qui rend unique par rapport aux relations avec les autres religions le dialogue avec le judaïsme.
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L’élection d’Israël
Loin d’être fortuit, ce lien est pensé et voulu par Dieu dans sa Sagesse. Dieu a choisi Abraham et sa descendance pour entrer dans une Alliance avec lui et il leur a donné sa Loi afin de leur permettre d’y rester fidèle. Il a envoyé son Fils au sein de ce peuple, et à travers lui, il a renouvelé et ouvert l’Alliance à tous. Il appelle chacun de nous. Sa grâce surabonde de sorte que nous est offert ce qui a d’abord été accordé aux juifs. Notre place nous est donnée au sein de la structure d’Alliance qui est celle inaugurée pour le peuple juif. Ainsi, celui-ci est le témoin de la fidélité de Dieu à sa promesse, tandis que notre conscience d’être à notre tour appelés nous donne de témoigner de sa bienveillance toute gratuite.
“Il a envoyé son Fils au sein de ce peuple, et à travers lui, il a renouvelé et ouvert l’Alliance à tous.”
Bien que tous les juifs n’aient pas reçu Jésus comme le Messie promis, le peuple juif n’a pas perdu son rôle dans le plan de Dieu, car Dieu est fidèle : il ne “divorce” pas, il garde sa promesse. La Nouvelle Alliance ne révoque pas la première, elle confirme l’Alliance juive et l’ouvre à ceux qui n’y avaient pas part.
La dépendance au judaïsme est intrinsèque à l’Église
Le lien entre juifs et chrétiens est constitutif pour l’Église. Pourtant, il a été occulté pendant des siècles, ce qui représente un préjudice qu’il faut travailler à réparer. “En scrutant le mystère de l’Église, le Concile se souvient du lien qui unit spirituellement le peuple du Nouveau Testament à la descendance d’Abraham” (Nostra Aetate, n. 4). Dans cette phrase, au concile Vatican II, l’Église envisage, quand elle se scrute elle-même, son lien au peuple juif comme quelque chose d’intime et non pas d’extérieur. Par ailleurs, il est significatif que, dans l’organisation de la curie romaine, le rapport aux juifs relève du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens, et non de celui pour le dialogue inter-religieux.
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La référence au peuple juif donne vigueur à notre foi
Être baptisé, c’est être accueilli, en vertu d’une grâce venue par Jésus, le Messie d’Israël, dans l’Alliance de Dieu avec le peuple qu’il a élu. Dans son essence même, et donc encore maintenant comme à chaque instant depuis son origine il y a 2000 ans, l’Église s’enracine dans le peuple juif et est donc appelée à rester à son écoute, attentive à son expérience. Ainsi, Pâques est la fête la plus importante de l’année liturgique chrétienne. Mais elle ne peut se comprendre et se vivre sans référence à la Pâque juive, si l’on ne fait pas mémoire de la délivrance des Israélites asservis en Égypte et de l’expérience que le peuple élu a eu d’une renaissance et du salut, donné par Dieu. L’agneau pascal renvoie à bien plus que la douceur et la candeur de l’animal. En ignorant le judaïsme, la foi chrétienne perd sa force, son réalisme, son efficacité. Elle devient évanescente, idéologique ou niaise.
La vivacité du lien est féconde
L’étude de ce lien mystérieux d’intériorité entre l’Église et le peuple juif est source de renouvellement des réponses aux questions que pose aujourd’hui la pratique et la mise en œuvre de la foi. Les problèmes peuvent être mieux posés, et des solutions à la fois originales et traditionnelles peuvent surgir. La référence au peuple juif permet de donner de l’amplitude et de ne pas situer les débats dans des perspectives trop étroites. Par exemple, la distinction clivante entre traditionalistes et progressistes n’a plus lieu d’être lorsque l’on se place à l’échelle de l’histoire multimillénaire de l’Alliance de Dieu avec les hommes.
“La référence au peuple juif permet de donner de l’amplitude et de ne pas situer les débats dans des perspectives trop étroites.”
Beaucoup de questions, lorsqu’on les creuse, se dénouent quand on perçoit le lien avec le judaïsme. L’œcuménisme par exemple : en retrouvant notre racine commune, nous pouvons situer nos différences plus exactement, dans un cadre plus large et plus profond, et les mettre en perspective de manière éclairante. Comment unir les branches si elles sont coupées du tronc ? Le premier schisme chrétien est venu du refus de l’enracinement juif de l’Église. L’unité se fera à Jérusalem.
Une divergence d’opinion qui honore la liberté de conscience
Pour être pleinement chrétien, il importe de lire et de méditer les Écritures, avec les Pères de l’Église, sans omettre la tradition juive. Le commentaire juif contemporain des Écritures peut être lui aussi enrichissant pour les chrétiens. Pour eux, Jésus est l’accomplissement plénier des Écritures. Pour les juifs, non : le Messie ne viendra qu’à la fin des temps. Leur position a des fondements, une certaine cohérence et sans doute aussi une fécondité pour concevoir l’espérance, l’attente dans la fidélité.
“Être chrétien en effet, c’est affirmer que l’Ancien Testament annonce Jésus-Christ, que Jésus-Christ en est l’accomplissement.”
Discerner cette différence, c’est reconnaître à la foi chrétienne son statut d’interprétation des Écritures. Être chrétien en effet, c’est affirmer que l’Ancien Testament annonce Jésus-Christ, que Jésus-Christ en est l’accomplissement. Nous sommes habitués à penser que cela va de soi, mais en réalité il n’en est ainsi que dans la perspective chrétienne. Cela donne de percevoir combien la foi chrétienne constitue une prise de position originale. C’est alors qu’elle peut nous engager pleinement, exprimer notre choix éthique personnel et l’orientation de toute notre vie. Cela rappelle aussi que nous ne sommes pas les seuls à lire la Bible, qu’il y a une diversité dans les manières de la lire. Il ne s’agit pas d’une menace pour le christianisme, mais d’une mise en valeur de la liberté humaine, liberté à laquelle aspire notre temps dans l’interprétation à la fois des textes et de ma vie.
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Une relation juste
Une relation juste envers le peuple juif aide et garantit la rectitude de notre foi chrétienne et la vitalité de notre espérance. Mais un danger guette constamment l’Église : l’hérésie marcionite. L’hérésie est née à la fin du Ier et au début du IIe siècle (donc très précoce). Elle entendait supprimer l’Ancien Testament et rompre avec ce qu’elle considérait comme un passé révolu. Elle considérait le peuple juif comme le pire. Mais la foi dérive alors vers un paganisme sans structure. Au contraire, le lien, s’il est gardé vivace, constitue une protection : il nous garde dans la confession du Dieu unique et miséricordieux.
L’espérance juive questionne notre propre espérance
L’espérance juive est peut-être parfois plus solide que la nôtre quand souvent nous, chrétiens, semblons situer le retour du Christ en dehors du temps que nous vivons. Si nous ne disons pas que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, nous avons tendance à escamoter la promesse du retour glorieux du Christ et à nous comporter comme si toute amélioration dépendait d’abord de nos efforts. L’espérance disparaît alors de la foi chrétienne. Il nous faut retrouver une espérance vive : ce que nous attendons est la réconciliation d’Israël et des nations pour constituer l’unique peuple de Dieu (cf. Rm 10, 25-27).
Un lien d’origine fécond et essentiel
En conclusion, la relation entre le christianisme et le judaïsme est un lien d’origine, qui est constitutif pour l’Église. Elle se reçoit en permanence via Israël, et la prise de conscience de cet enracinement peut être fécond pour renouveler les problématiques qu’elle rencontre.
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