Ne pas juger les gens sur leur apparence. Voilà un conseil bien avisé, même si nous avons parfois du mal à l’appliquer, et qui date de fort longtemps puisque dans l’Antiquité, les Romains disaient déjà Barba non facit philosophum (la barbe ne fait pas le philosophe) ! Mais comment est-on passé de la barbe à l’habit et du philosophe au moine ?
Deux théories pour une expression
Deux théories sont en lice pour expliquer l’origine de cette expression. L’une d’elle, plutôt rocambolesque, remonte au XIIIe siècle. A l’époque, la république de Gênes est divisée par une querelle politico-religieuse opposant les Gibelins, partisans des empereurs du saint empire Romain Germanique, aux Guelfes, partisans du pape. Suite à la victoire des Gibelins, de nombreuses familles guelfes, dont la famille Grimaldi, sont contraintes à l’exil vers la Provence. Un soir de janvier 1297, François Grimaldi se rend avec quelques hommes à Monaco. L’empereur romain germanique Henri VI a concédé la souveraineté du rocher aux Gibelins qui y ont construit une forteresse.
Déguisés en moines franciscains, le visage masqué par leur capuche, l’épée dissimulée sous leur robe, ils arrivent à la porte de la forteresse après le couvre-feu et demandent asile pour la nuit. Mis en confiance par leur habit, les gardes les laissent entrer. Pendant la nuit, François ouvre la porte à ses soldats placés en embuscade et ils s’emparent de la forteresse (un stratagème qui lui fera gagner le surnom de malizia, le rusé). Comme le détaille le site officiel du palais de Monaco, l’épisode a été immortalisé sur les armoiries de la famille Grimaldi, ornées de « deux Frères Mineurs chevelus, barbus et chaussés, portant chacun une épée levée, debout sur une banderole, avec la devise : Deo Juvante (avec l'aide de Dieu) ». Et en 1997, une statue de François Grimaldi grandeur nature avec son habit de moine a été installée devant le palais en commémoration des 700 ans de la dynastie Grimaldi à Monaco.
Observation de la Règle et perfection de la vie
L’autre explication se révèle beaucoup moins aventureuse et donne un caractère juridique à l’expression, à prendre cette fois au sens propre. Dès le XIe siècle, un certain nombre d’établissements religieux s’enrichissent de façon importante grâce aux bénéfices ecclésiastiques. Certains opportunistes, désireux de profiter de ces richesses et avantages, prennent l’habit monastique sans avoir prononcé leurs vœux.
Dans son Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, le Bénédictin Rémy Cellier (1688-1763), historien de l’Église catholique, explique ainsi que le pape Innocent III a annulé l’élection d’un laïc à l’abbaye de Luxeuil (Vosges), défendu aux moines de lui obéir et invalidé toutes ses décisions car il n’était pas moine avant son élection. « On ne doit pas faire moine celui qui ne demande de l’être que sur l’espérance qu’il a, ou sur la promesse qu’on lui a faite, d’être Abbé », écrit Innocent III. Et de conclure : « Ce n'est pas à l'habit qu'on reconnaît le moine, mais à l'observation de la règle et à la perfection de sa vie ».