En accordant de la valeur à la parole gestuelle et en créant la première école pour les sourds-muets, l’abbé de l’Épée a changé le regard de la société sur les sourds-muets et leur a rendu leur liberté. Une exposition, actuellement au Panthéon et jusqu’au 6 octobre, retrace l’histoire des sourds, du Moyen Âge à nos jours. Considérés comme des êtres inférieurs dont l’intelligence équivalait à celle d’un animal, les sourds-muets ont longtemps été relégués au banc de la société. Pour les parents, avoir un enfant sourd-muet était un véritable signe de déshonneur et les gestes qu’ils émettaient pour se faire comprendre n’étaient considérés que comme des éléments désordonnées dénoués de toute logique.
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C’est en rencontrant par hasard deux sœurs sourdes qui communiquent entre elles par signes que l’abbé Charles-Michel de l’Épée (1712-1789) — qui consacre la plupart de son temps aux œuvres de charité — se fascine pour le langage gestuel. En étudiant les signes qu’elles utilisent, il réalise que les sourds ont un langage personnel. Désireux de donner à ce langage spécifique des règles méthodiques, il décide de créer un alphabet à deux mains avec lequel les sourds pourront communiquer entre eux, mais aussi avec les autres. Rapidement, l’abbé, motivé par la charité chrétienne et la compassion, transforme sa maison en école et accueille environ une soixantaine d’élèves issus de milieux pauvres, mettant ainsi l’instruction à la portée des enfants dont les parents n’avaient pas les moyens de s’offrir les services d’un précepteur.
Si l’abbé de l’Épée a été précurseur dans la mise en place du langage des signes, sa méthode a cependant été contestée. En effet, il a voulu adapter cette langue naturelle des signes en lui donnant une syntaxe se rapprochant de la langue écrite pour en faciliter l’apprentissage. Mais cette méthode dite “méthodique” n’était pas vraiment adaptée et elle disparut avec le successeur de l’abbé de l’Épée, l’abbé Sicard. Il faudra attendre les années 1830 pour voir apparaître une langue des signes authentique grâce à Roch-Ambroise Bébian, filleul de l’abbé Sicard et enseignant entendant qui transforma profondément l’éducation des personnes sourdes en France.
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Ainsi, bien plus que la méthode employée, la véritable révolution apportée par l’abbé de l’Épée fut l’ouverture d’une école gratuite destinée aux pauvres mais, aussi et surtout, la libération des sourds-muets. En leur donnant un moyen de s’exprimer, il leur rendit leur humanité, les sortit de leur précarité, et permis à la société de les voir autrement que comme des parias. Grâce à lui, de nombreux élèves sourds-muets purent à leur tour enseigner, en France et à l’étranger, ce qui participa à la diffusion de ce langage universel. Si les sourds-muets lui vouent toujours une affection particulière aujourd’hui, son œuvre était déjà reconnue à son époque. En 1778, le roi Louis XVI en personne lui accorda sa reconnaissance et plaça son institution sous protection royale. Plus tard elle deviendra l’Institut national des jeunes sourds de Paris qui existe encore aujourd’hui.