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Le chrétien et l’argent : que faut-il donner ?

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Pierre de Lauzun - publié le 21/04/19 - mis à jour le 27/03/24
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Donner est un devoir essentiel du chrétien, car nos biens et notre argent nous sont confiés en vue du bien commun. L’usage de l’argent résulte de notre devoir d’état, puis de ce que nous sommes appelés à dépenser utilement et à investir. Nous devons examiner en particulier combien nous sommes appelés à donner.

L’aumône ou le don, préoccupation chrétienne traditionnelle, garde son actualité. Il reste vital de donner, malgré la redistribution très élevée opérée par l’impôt dans nos sociétés. Chacun est responsable de l’ampleur de sa générosité mais la dîme (10% de nos revenus) donne un repère de base commode.

L’aumône, une préoccupation chrétienne traditionnelle

Que nous dit saint Thomas d’Aquin sur l’aumône ? La question qu’il pose dans la II-II q32 qui traite de l’aumône, est : « Que devons-nous donner ? » L’article 6 nous dit que nous n’avons pas à donner au détriment de ce qui est « indispensable », pour nous ou nos proches, sauf besoin public manifeste. Une telle nécessité se mesure en fonction de notre statut ou condition, ou de celui des personnes dont nous avons la charge, mais qui, évidemment, ne peut pas être fixée a priori avec précision. Au vu d’un certain volume de dépenses, on peut toujours en ajouter ou retrancher de façon significative : on peut estimer pouvoir dépenser plus sans dépasser le nécessaire, ou inversement retrancher beaucoup et considérer cependant qu’il en reste assez pour vivre.

Mais un examen honnête de cette question dépend, répétons-le, de notre statut ou insertion dans la société. C’est un préalable nécessaire. Tant qu’on reste en deçà de ce niveau on peut évidemment donner, mais sans que cela soit un devoir absolu, étant entendu que celui qui donne de manière telle qu’il ne puisse plus vivre selon son statut et condition, agit de façon « désordonnée ». En d’autres termes, toujours selon Thomas, il faut déterminer en conscience le niveau de dépenses dont on a besoin pour vivre de manière qui soit appropriée à la position dont on a la responsabilité dans la société. On peut donc restreindre ce niveau, mais on n’est pas tenu de l’entamer, et si on le comprime excessivement, on est coupable. Les seules exceptions à ce principe, c’est-à-dire les cas où l’on peut et doit donner beaucoup plus largement — outre évidemment les cas où on peut aisément récupérer ce qu’on donne ou s’accommoder du manque, ou si on n’a personne à notre charge ou dépendant de nos choix de dépense — concernent, dit-il, d’une part un changement de vie majeur comme l’entrée en religion, et d’autre part des besoins absolus, vitaux, et notamment de salut public.

Le cas de la veuve de l’Évangile

On peut être tenté d’objecter le cas de la veuve de l’Évangile, fortement approuvée par Jésus par ce qu’elle a donné de son nécessaire (en fait ce qui lui permettait de vivre), et pas de son superflu comme les riches qui l’entouraient. Elle a donc en fait donné beaucoup plus qu’eux, même si son don était en valeur absolu minime (Mc 12, 41). Mais saint Thomas a répondu sur ce point : un tel don ne peut être exigé. En outre il ne se justifierait pas si la veuve avait commis une sorte de suicide de fait, mourant de faim à la suite de ce don. En fait elle a donné en se privant fortement, mais sans remettre en cause sa survie : ce qui est très bien, mais ne peut être une norme, sauf si Dieu nous le demande. Cela ne doit pas impliquer de nuire gravement à quelqu’un qui dépend de nous, ou à nous-mêmes : ce peut être aussi dans un acte d’abandon total à Sa Providence, qui ne peut résulter que d’un appel tout à fait spécifique.

À qui donner ?

Quant aux destinataires, l’aumône doit être faite d’abord aux plus proches selon l’article 9, sous réserve toutefois de considérations de la qualité de qui reçoit (de sa sainteté dit-il) et de l’utilité sous l’angle du bien commun. Une telle aumône peut être abondante, comme le relève l’article 10, du moins du point de vue de celui qui donne. En revanche du point de vue de qui reçoit, on ne doit donner que s’il s’agit d’un vrai besoin, pas pour donner le superflu ; en effet il conviendrait alors à générosité identique de faire ce don à d’autres indigents. De façon plus précise, il faut tenir compte dans son aumône ou dans l’aide apportée, de la situation de la personne qui reçoit et de ses besoins : qui a vécu jusque-là dans un contexte privilégié peut avoir plus de besoins qu’un autre, de même qui est plus âgé ou plus faible.

Dans le même esprit Léon XIII précisait en synthèse dans Rerum novarum (19, 2-3-5 et 6) : « Nul assurément n’est tenu de soulager le prochain ne prenant sur son nécessaire ou sur celui de sa famille, ni même de rien retrancher de ce que les convenances ou la bienséance imposent à sa personne. Nul en effet ne doit vivre contrairement aux convenances. Mais dès qu’on a accordé ce qu’il faut à la nécessité ou à la bienséance, c’est un devoir de verser le superflu dans le sein des pauvres… Quiconque a reçu de la divine bonté une plus grande abondance, soit des biens extérieurs et du corps, soit des biens de l’âme, les a reçus dans le but de les faire servir à son propre perfectionnement, et, également comme ministre de la Providence, au soulagement des autres. »

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