Seul un retour à une vision proche de celle des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dont on célèbre le 70e anniversaire, pourrait permettre de pérenniser le système de protection des droits humains.Certains essais critiques sur les droits de l’homme sont trop simplificateurs : ils refusent de différencier la Déclaration française de 1789 et celle des Nations-unies (ONU) de 1948. Or ces deux textes se distinguent par leurs philosophies respectives. La déclaration révolutionnaire enfermait les droits de l’homme dans la « Nation », supposée émanciper le citoyen de l’autorité divine et de la société. Au contraire, la Déclaration universelle de 1948 découle de l’intention d’après-guerre d’établir un ordre international s’imposant aux États. Celui-ci, fondé sur la primauté de la personne humaine, a fait des droits de l’homme une sorte de morale découlant de la loi naturelle.
L’omission volontaire du divin
Dans un essai qui vient de paraître, Les Droits de l’homme dénaturé (Cerf), le juriste Grégor Puppinck montre cependant que la fondation de ce nouvel ordre international est bancale. Directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), l’auteur souligne certaines limites de la Déclaration universelle et des instruments de protection des droits de l’homme qui l’ont suivie. En particulier, ces textes omettent volontairement de faire référence à Dieu comme origine de l’homme et de sa dignité, contrairement à de nombreuses constitutions nationales. Le débat d’après-guerre qui a abouti à ce choix montre que c’était une exigence des États communistes athées.
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Cette omission du divin n’a pas été sans influence sur l’interprétation des droits de l’homme. Cela a notamment favorisé une désincarnation de la dignité humaine, qui a progressivement été réduite à l’autonomie et à la volonté individuelles. Cette transformation conduit par exemple certains défenseurs des droits de l’homme à inclure la PMA ou le changement de sexe dans le droit au respect de la vie privée.
Droits naturels et antinaturels
Les universitaires distinguent habituellement plusieurs générations de droits de l’homme, qui peuvent parfois entrer en conflit : civils et politiques, économiques et sociaux, environnementaux… Aujourd’hui, cette classification ne paraît plus pertinente. En effet, l’objectif de l’extension des droits de l’homme n’est plus de sortir les personnes de la pauvreté et de l’ignorance, par exemple par le travail ou l’éducation. Les droits économiques et sociaux sont remplacés par des droits sociétaux, qui visent cette fois à libérer un individu abstrait de la nature humaine. Grégor Puppinck propose une autre typologie de droits : les droits naturels consacrés à l’après-guerre, les droits antinaturels (euthanasie, l’avortement…) et les droits transnaturels émergents (eugénisme, changement de sexe…). Les nouveaux droits de l’homme, qui nient ou redéfinissent sa nature, violent ses véritables droits, par lesquels il s’humanise.
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Face à cette évolution, illustrée par de nombreux débats d’actualité, il est essentiel de réaffirmer les droits naturels de l’homme. Seule ce retour à une vision proche de celle des rédacteurs de la Déclaration universelle et de la Convention européenne pourrait permettre de pérenniser le système de protection des droits de l’homme. Ces textes eux-mêmes, adoptés par les sociétés chrétiennes d’après-guerre, peuvent être des ressources permettant de contester les dérives actuelles des droits de l’homme. Il est en effet toujours utile de rappeler les instances internationales à leurs devoirs, en particulier celui d’interpréter et d’appliquer les traités « de bonne foi ». Grégor Puppinck n’hésite pas à les mettre en garde, car « à la différence de l’Église, [elles n’ont] pas reçu la promesse de la vie éternelle et [pourraient] disparaître ».
La primauté des devoirs de l’homme
Cela dit, est-ce réellement sur les droits de l’homme de l’après-guerre que l’on peut bâtir une critique juste et efficace de la post-modernité ? Ceux-ci, même naturels, sont une morale très insuffisante. La logique intrinsèque des droits de l’homme est problématique : ils insistent sur ce que la société doit au sujet de droits et non sur ce que celui-ci doit à la société. Ils contiennent en germe des attitudes revendicatrices, visant à émanciper l’homme de Dieu et de Sa loi. C’est pour cette raison que les droits de l’homme ont été longtemps combattus et critiqués par le magistère catholique, comme « si contraires à la religion et à la société » (Pie VI). L’Église préfère accompagner l’homme dans l’humble accomplissement de ses devoirs, plutôt que de l’inciter à se focaliser sur ses droits.
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Pourquoi donc est-il légitime d’embrasser la défense de véritables droits de l’homme auprès des instances internationales ? Ce choix peut être justifié par deux raisons. D’une part, promouvoir les droits naturels de l’homme permet de remonter à ses devoirs. Comme l’affirmait Léon XIII, « les vrais droits de l’homme naissent précisément de ses devoirs envers Dieu ». En particulier, le droit à la vie est une conséquence de l’interdit du meurtre, la liberté d’association permet de réaliser plusieurs devoirs sociaux de l’homme et la liberté de religion découle de notre devoir de rendre un culte à Dieu. Ces devoirs, source des droits de l’homme, sont aussi leur finalité, conforme à la nature humaine.
Un champ de bataille idéologique
D’autre part et surtout, les droits de l’homme peuvent être utilisés avec pragmatisme, comme un argumentum ad hominem. Autrement dit, il est légitime d’opposer aux instances internationales les textes et les principes qu’elles reconnaissent comme suprêmes. C’est cette stratégie qui a permis à Grégor Puppinck de remporter de belles victoires dans les affaires de bioéthique et de liberté de religion à l’ONU et à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le 70e anniversaire de la Déclaration universelle est une bonne occasion de découvrir les arcanes de ce combat de longue haleine.
Les droits de l’homme dénaturé, Grégor Puppinck, Les éditions du Cerf, (novembre 2018)