De Pie XII à Benoît XVI, Arturo Mari fut le photographe de six papes. Pendant 27 ans, il a suivi Jean Paul II dans ses déplacements et dans son intimité parfois. Dès l’aube à l’heure de la prière précédant la messe dans la chapelle du pape, le photographe est là. Pas à pas, il le suit dans les audiences, les déjeuners, les cérémonies, les promenades. À l’écouter, on devine qu’avoir été son photographe attitré était bien plus qu’un métier, une mission. Entretien. Aleteia : Quel souvenir avez-vous de votre première rencontre avec Jean Paul II ?
Arturo Mari : C’était au cours du Concile Vatican II. Il était alors archevêque de Cracovie. Le cardinal Wyszynski, primat de Pologne, me l’a présenté. Ensuite, à chaque fois que Karol Wojtyla venait à Rome, il y avait toujours un moyen de le rencontrer.
Et le 16 octobre 1978, il devient Pape…
À la fin du conclave, lorsque les portes de la Chapelle Sixtine se sont ouvertes, j’étais le premier photographe à y pénétrer. Il était présent, déjà tout habillé de blanc. Il m’a adressé un regard plein d’amour et m’a touché le bras. Ma première pensée alors a été de le prendre en photo : le monde entier voulait des photos du nouveau pape ! Ensuite, je me suis incliné devant lui et je suis ressorti.
Quelle est la plus belle photo que vous ayez faite de lui ?
J’étais avec lui 365 jours par an. Mon appareil photo sur moi, chaque matin j’étais dans ses appartements dès 6h20. Pour moi, la meilleure photo de lui, c’est celle du Vendredi Saint de l’année 2005 (son dernier Vendredi Saint) lorsqu’il tient son crucifix assis dans sa chapelle privée. J’ai saisi un geste de lui que je suis le seul à avoir vu : il appuyait la tête contre la croix, embrassait le Christ, ensuite le mettait contre son coeur et priait en silence. Cette photo a fait le tour du monde. Je crois qu’elle résume à elle seule toute la signification de son pontificat.
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Beaucoup ont dit que cette photo a été prise de dos pour cacher un appareil qui lui permettait de mieux respirer. Est-ce vrai ?
Ce sont des fantaisies ! Il n’avait absolument rien de tel. Il faut simplement se rappeler que sa chapelle était si petite qu’il ne m’était pas possible de le prendre autrement que de dos. Il y avait toujours beaucoup de monde à l’intérieur. Il n’y avait pas d’autre manière de le prendre en photo.
Que signifie être le photographe personnel du Pape ?
Il faut beaucoup d’humilité et et encore plus de discrétion. Vous devez en permanence penser à la personne qui est à côté de vous, qui n’est pas n’importe qui ! Je pense notamment aux entretiens avec les chefs d’Etats, qui sont très particuliers. J’assistais parfois à des conversations et des propos très confidentiels. Il faut savoir rester très discret ! Il faut même ne pas les écouter du tout !
Le 13 mai 1981, le jour de l’attentat sur la place Saint Pierre, vous êtes à côté de la Papamobile. C’est vous qui prenez ces fameuses photos du Pape au moment des coups de feu. Quel souvenir avez-vous de cette journée ?
Je ne me souviens absolument pas comment j’ai pu prendre ces photos. Je me suis tout de suite rendu compte qu’il se passait quelque chose de grave : j’ai vu le Pape tomber devant moi. J’ai pris ces photos qui sont devenus des documents historiques. Mais était-ce par sang froid ou par l’intercession de la Vierge Marie ? Je ne le sais pas. Quand nous avons quitté la place Saint Pierre et que nous sommes arrivés à l’intérieur de l’enceinte du Vatican, nous avons attendu un moment l’ambulance qui devait mener le Pape à l’hôpital Gemelli. Il était étendu sur un brancard de fortune posé sur le sol. Il souffrait mais il ne se plaignait pas. La seule chose que nous lui avons entendu dire, à deux reprises, c’est cette prière : « Ma mère, aidez-moi, Vierge Marie, assistez-moi ! »
Est-ce qu’il avait parfois peur de quelque chose ?
Jamais ! Je vais vous raconter une histoire que peu de gens connaissent : nous étions dans l’avion pour le Sénégal. Après avoir quitté l’espace aérien italien, alors que nous survolions la Méditerranée, nous sommes entrés dans un nuage de glace. L’avion n’était pas équipé pour dégeler les sondes. Et nous avons perdu brutalement de l’altitude, passant en quelques secondes, je crois, de 12.000 mètres à 1.500 mètres. Nous étions tous très inquiets et agités, certains que l’avion allait s’écraser. De son côté, Jean Paul II est resté très calme. Il a continué à lire son bréviaire, toujours assis à sa place. Par bonheur, l’avion a réussi à se stabiliser et à reprendre de l’altitude. Le Pape a regardé par le hublot puis, comme si rien ne s’était pas passé il nous a demandé en souriant: « Un problème ? »
Sur vos photos, Jean Paul II est toujours souriant. L’avez-vous vu pleurer ? Vous parlez aussi du jour où sa soutane est devenue toute noire…
Il était souvent ému. Oui, je me souviens d’un voyage en Angola. Jean Paul II était assis et discutait avec une famille très pauvre. À un moment, quelqu’un de sa suite a apporté une bouteille de jus d’orange et des biscuits. Le Pape les a offert aux enfants. En moins de deux secondes, ils se sont tous agglutinés contre lui. Certains grimpaient sur ses genoux, d’autres le prenaient par les épaules… Il y en avait partout ! Le Pape était très ému. Avec la poussière, sa soutane est vite devenue toute noire. Juste après cette visite, il devait rencontrer le président du pays. Nous avons dû passer d’abord par la nonciature pour qu’il puisse se changer.
Quelle est la dernière photo que vous avez prise de lui ?
C’est une photo qui n’a jamais été publiée. Jean Paul II était déjà dans son cercueil. À un moment, Mgr Stanislas Dziwisz, son sécrétaire particulier, et Mgr Piero Marini, le cérémoniaire, ont mis un voile blanc sur son visage, comme le veut le protocole. Je ne l’oublierai jamais !
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Certains prétendent que le Pape a perdu conscience quelques heures avant de mourir. D’autres qu’il était si faible qu’on l’attachait à des voiturettes qui le déplaçaient…
On a tout dit… J’ai même entendu qu’il était mort trois jours avant l’annonce officielle. J’ai eu le bonheur de le rencontrer huit heures avant sa mort. Je suis entré dans sa chambre et je me suis agenouillé à son chevet. Mgr Stanislas Dziwisz lui a dit « Arturo est ici ». Il s’est tourné vers moi, m’a souri et m’a dit : « Merci Arturo, merci ! ». Puis il s’est retourné. Il n’était relié à aucune machine, il y avait seulement un masque d’oxygène posé sur un de ses oreillers. Il était calme, prêt à retourner dans la maison du Père.